~ Cercle Philosophique ~

~  Cercle Philosophique  ~

47 - Travail & Inhumanité -

IINTRODUCTION -

Au nombre des grands penseurs du travail, au début de l'époque moderne, se trouvent bien sûr Marx & Engels, pour lesquels la suppression de la propriété privée et l’appropriation collective des moyens de production sont la solution au problème du travail aliéné ; en revanche pour Proudhon la conception du travail est principe de félicité. Sur ce point, rappelons Saint-Simon qui rêvait de transformer le monde en un immense et laborieux atelier  dirigé par les producteurs, frères par le travail, et œuvrant pour l’amélioration de l’existence morale et physique de la classe la plus pauvre...

Pour l'heure, nous en sommes à l'idée de la fin du travail, mais comme l’analysait déjà le sociologue Alain Caillé (Paris-1994), ce débat repose sur la confusion plus ou moins volontairement entretenue entre deux sujets distincts :

- d’une part, celui de savoir si du travail pouvait être assuré pour tous dans les décennies à venir, sous quelles formes et dans quelles conditions ;

- d’autre part, celui du caractère souhaitable du travail.

II – ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION -

Le travail se pare aujourd’hui d’un visage peu glorieux : il n’apparaît plus comme émancipateur mais revêt les oripeaux peu florissants de :

- précarité, cette malédiction sociale qui métamorphose l’injustice en honte,

- fatigues, de souffrances, de hiérarchies abusive, de stress et suicides.

Tout cela n’est pourtant pas nouveau : l’alcoolisme des ouvriers de Zola, la pénibilité des travaux manuels, l’aliénation, la précarité des ouvriers agricoles journaliers au XVIII° siècle, les 12 heures de travail quotidiennes des manufactures de Louis XIV... sont déjà l'illustration de ces difficultés.

Mais ce qui est nouveau, c’est la fixation du débat social sur ces aspects, comme s’il ne restait plus qu’eux à observer une fois que le regard sociologique a cessé de se déporter vers un avenir utopique antalgique.

Il convient alors d'évoquer les travaux de Christophe Dejours (Paris-1949), psychiatre, psychanalyste et professeur de psychologie français, spécialiste en psychodynamique du travail et en psychosomatique, qui, pour expliquer cette néo-souffrance, relève qu'il est souvent fait référence à l’individuation du rapport au travail et de l’exigence d’autonomie ; ainsi, de ne plus regarder le travail comme un lieu de socialisation, renforce la vulnérabilité de ses agents, privés du soutien du groupe ; aussi, en cas de difficultés dans son travail, le travailleur se retrouve-t-il seul avec lui-même, tendant d’autant plus à s’identifier à son travail qu’il est isolé, et c'est ainsi que survient la dépression, c’est-à-dire la détresse ressentie par le travailleur mis en situation d’impuissance par rapport aux exigences de performance demandées.

C'est cette compétition d’individus isolés qui conduit aux situations de souffrance renforcées par des facteurs, tels que l’évaluation personnalisée, l’introduction de la qualité totale, de la performance, de la flexibilité, d'objectifs unilatéralement fixés, …

Et tout ceci dans un contexte de crise économique, avec ses remises en cause des définitions mêmes sur lesquelles la catégorie travail est fondée. Le constat de l’incapacité du système économique dominant, dans son fonctionnement actuel, à pérenniser, ou même faire advenir, la stabilité économique et sociale a mené les esprits les plus convaincus à appeler soit à une refondation du capitalisme par correction de ce que certains qualifient d’excès, soit à la venue d’un autre modèle économique, arguant que ces accidents sont à la définition même de ce système.

Certes, toute période de crise remet en question les fondements de la société car l’exercice du doute remet en cause les évidences d'hier, ce qui vaut pour la définition du travail, qui devient de plus en plus floue d'autant que les nouvelles techniques sont de plus en plus perçues comme des outils d’oppression disqualifiant le travail, diminuant son prix et rognant les sphères d’autonomie de la main-d’œuvre.

Aujourd'hui encore, pour le management moderne, la seule marge possible de croissance économique demeure dans le capital humain constitué par ses divers salariés. Il ne s’agit plus de penser l’employé comme individu extérieur à l’entreprise, dont celle-ci n’emploie que les compétences techniques, propres à son travail, pendant un temps limité, passé lequel il s’en retournerait simplement à sa sphère privée, mais s’est développée une forme d’hypertravail, qui n’utilise pas seulement les compétences techniques des salariés, mais leurs compétences relationnelles, culturelles, personnelles, sportives, artistiques… en somme leur personnalité, aux seules fins de productivité accrue (cf. les laboratoires de développement Microsoft, Google, Apple... & autres industries de production intensive d'extrême-orient).

III – EN CONCLUSION -

Le travail interroge notre identité, au travers de la place qu’il occupe dans le rapport du citoyen à la société ; de ce fait il me semble encore illusoire de vouloir séparer une idée abstraite du travail, qui évoluerait indépendamment des représentations sociales auxquelles elle est liée, de l'individu.

C'est ce qui explique que les courants actuels d'idées portant notamment sur le revenu universel peinent à s'imposer, malgré les expériences menées dans divers pays.

Comme toujours, les remèdes sont en nous ; commençons par cesser, par nos comportements consuméristes, de faire fructifier un système dont nous ne pouvons plus maintenant ignorer qu'il détruit les fondements mêmes de notre société mettant en péril à court terme l'avenir de nos enfants.



11/03/2018

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour