46 - De l'Humain à l'Inhumain -
Quelles sont les causes qui rendent l'homme inhumain et comment y remédier ?
En préambule, à humain s'oppose l'inhumain comme le surhumain. Ce dernier relevant du thème de réflexion de l'année, au travers du transhumanisme, conservons-le pour des jours meilleurs... et revenons aux termes de la dualité restante.
I – DÉFINITIONS -
L'humain est tout ce qui relève de l'homme, en tant qu'espèce, ce concept couvrant les notions de conduites, tendances, comportements, caractéristiques de l'espèce humaine : le langage, le travail, la morale, la religion, la métaphysique... Ainsi, à ce niveau, une première dualité s'impose, celle qui oppose l'humain à ce qui n'est pas humain, i.e. tout ce qui relève du mécanisme du monde des espèces vivantes (hors l'humain), des choses et de la matière.
Pour recentrer le sujet sur le dualisme de la question posée, une approche des plus simplistes, permettrait de considérer l'inhumain comme tout ce qui n'est pas humain, ce qui lui donnerait le caractère d'un concept objectif qui ne saurait être remis en cause : est inhumain tout ce qui ne relève pas de l'homme, qui lui est étranger. Mais une appréhension de cette notion sur l'unique plan de la réalité objective, serait par trop réductrice, en ce qu'elle ignorerait l'approche de la relativité du concept d'humain.
Aborder l'inhumain suppose nécessairement reconnaître l'existence d'une nature humaine qui serait universelle par-delà les différences individuelles et socioculturelles ; serait dès lors inhumain ce qui dépasse les limites fixées par cette nature humaine, les transgresse.
Et qualifier tel acte d'inhumain, c'est porter nécessairement un jugement ; or, on ne peut juger que par rapport à une référence, un modèle. L'inhumain ne peut ainsi être seulement appréhendé que par rapport à l'humain, mais l'idée d'humain, pas plus que celle de l'homme, n'a un caractère universel déterminé et figé.
Ainsi, l'idée d'inhumain est tout ce qu'il y a de plus culturel : dans l'Antiquité, fouetter des esclaves n'avait aucun caractère inhumain puisque, selon Aristote (-384 ; -322) dans "Le Politique" les esclaves étaient "ceux qui avaient la capacité corporelle d'exécuter des ordres". Ainsi, en l'espèce, l'humain ne peut pas se dissocier de l'inhumain.
De là naît le paradoxe : si l'inhumain vient de l'homme, c'est qu'il participe malgré tout de l'humain, c'est qu'il est en chacun. Platon (ca. -428 – ca. -348) disait par exemple que l'unique différence entre un homme honnête et un criminel, c'est que le premier se contente de rêver ce que l'autre fait. L'inhumain n'est pas ce qui est hors de nous, mais bien ce qui est en nous : il n'est pas apparu ex nihilo pour venir se greffer à l'humain, mais coexiste avec lui.
Dans son Carnet d'un biologiste, l'académicien écrivain, moraliste, biologiste et historien des sciences Jean Rostand (1894-1977) écrit "il faut savoir reconnaître l'humain jusque dans l'inhumain. L'ignoble est souvent du noble mal tourné...".
II – CAUSES & REMÈDES -
Pour le philosophe Nicolas Grimaldi (Paris-24-12-1933), professeur émérite à l'université Paris IV-Sorbonne au sein de laquelle il a occupé les chaires d'histoire de la philosophie moderne et de la métaphysique, "rien n'est plus humain que l'inhumain".
C'est ce paradoxe apparent qu'il soulève pour s'interroger, dans une riche digression philosophique nourrie des réflexions du résistant Robert Antelme (1917-1950), de la philosophe allemande qui s'est penchée sur le totalitarisme Hannah Arendt (1906-1975), de l'historien américain, spécialiste de l'holocauste Christopher Browning (Turin 22-05-1944), de l'écrivain allemand antinazi Sebastian Haffner (Raimund Pretzel 1907-1999) et de Stendhal (Marie-Henri Beyle 1783-1842) :
- comment un être humain peut-il sombrer dans l’inhumain ?
- comment des hommes ont-ils jamais pu agir envers des hommes comme s'ils n'en étaient pas ?
Il n'y a qu'une seule cause de l'inhumain, avance Grimaldi : "Elle consiste dans le fait d'être si insensible à l'autre qu'il nous devient indifférent" ; il y a, à l'origine de l'inhumain, "une sorte d'aveuglement" et en ne reconnaissant pas son semblable dans l'autre, en refusant la possibilité d'un monde commun, l'homme ouvre la voie de l'inhumanité. Car ce qui est humain dans l'homme "c'est de se sentir profondément uni à tous les autres, ne serait-ce que par la pathétique détresse qui leur est commune". Pour Grimaldi, "l'humanité consiste à porter la vie des autres comme une partie de la sienne et à leur communiquer la sienne comme une partie de la leur".
Mais pourquoi et comment naît parfois en l'homme ce sentiment d'appartenir à une espèce différente qui le rendrait incompatible, au point de vouloir éliminer l'autre ? A l'origine d'une personnalité, avance cet auteur, il est vraisemblable qu'il y ait un choix originaire, secret, implicite, informulé, peut-être même aussi inconscient qu'inavoué, par lequel chacun définit le type d'homme qu'il voudrait être, en l'ayant imaginé. Chacun d'entre nous se forme en effet l'image d'un type humain qui oriente et détermine la plupart de ses attitudes.
Nos réactions restent orientées et réglées par ce choix originel d'une certaine tonalité. Ce choix se construit notamment à travers la génétique (oui, au sens universel, du choix fait de sa naissance), l'enfance, l'éducation, l'instruction, les expériences de la vie et du milieu, des rêves aussi qui nous fait vivre mille fois, avant que la vie nous y invite, les attitudes par lesquelles s'exprime l'humanité.
Ce sont tous ces domaines qui définissent les moyens à partir desquels il est possible d'agir afin de tenter de remédier à l'inhumain.
III – EN CONCLUSION -
Ainsi l’inhumanité est l'ensemble des transgressions des caractéristiques sociétales qui sont au fondement de la nature humaine, d’où la marginalisation, la stigmatisation de ces actes qui mettent en péril la construction sociale.
Mais il ne faut pas omettre d'aborder l'inhumain sous son angle positif, voire plus héroïque, celui où l'humain repousse les limites de l'humain...
Enfin, rappelons qu'indépendamment des cultures ou des époques, la limite entre ces deux concepts d'humain et d'inhumain reste toujours bien difficile à définir : ainsi l'euthanasie...