44 - Rôle social du Travail -
Comment le travail nous rend-t-il malheureux, individuellement mais aussi du fait de son organisation sociale ?
Et comment la dimension sociale du travail pourrait-elle contribuer au bonheur de l’homme ?
I – LE CONTEXTE -
Saisir sociologiquement le "Travail", c'est le considérer indissociablement comme un acte productif et comme un lien social.
Entendue comme un champ académique institué, la "sociologie du travail" est un domaine d'origine française, de date récente, puisqu'il remonte aux travaux de Georges Friedmann (1902-1977), l'un des principaux acteurs du renouveau des sciences sociales en France, dans son ouvrage "Problèmes humains du machinisme industriel".
II – TRAVAIL & ORGANISATION SOCIALE -
20 – L'approche sociale du Travail -
Historiquement, il est admis que le nouvel ordre social qui succède à la Révolution française fait apparaître une dissociation entre les notions de "Propriété" et de "Travail", que les penseurs révolutionnaires voulaient pourtant inséparables, sur la base du projet des petits propriétaires échangeant librement le produit de leur travail. La mutation profonde alors entamée s'est poursuivie au XIX° siècle, du fait de la révolution industrielle, générant de nouvelles classes pauvres, principalement urbaines, mettant en péril l'équilibre de la société, l'économie politique se révélant incapable de réaliser ses promesses de bonheur par l'accroissement des biens de production.
L'optimisation des énormes investissements nécessaires au développement et à la rationalisation de l'outil de production, du fait de l'émergence puis de la consolidation du marché de libre concurrence, a donné naissance à une nouvelle discipline de l'organisation du travail : "l'organisation scientifique du travail" (Taylorisme), dont la seule appellation témoigne de la large place laissée à l'humain !
Parallèlement, sur le plan juridique, la reconnaissance du fait salarial a émergé de la définition jurisprudentielle du "contrat de travail", distinct des contrats civils ordinaires, plaçant ainsi le salariat dans une situation de subordination juridique et technique par rapport à son employeur, propriétaire de l'outil de production. C'est l'émergence de ce principe qui a fait basculer la notion traditionnelle du "Travail", reconnaissant à l'employeur, en rupture avec l'approche colbertiste du "métier", le droit de définir le cadre et les obligations du "Travail", avec pour seule contrepartie la reconnaissance d'un statut de droit à protection sociale - à l'origine du contrat de travail – qui prit naissance en France en 1898, notamment en matière d'accidents du travail, alors si nombreux.
L'évolution des métiers, a conduit les sociologues à défricher d'autres champs que le travail ouvrier d'usine, rejoignant la problématique du "Travail professionnel"n idée centrale de la sociologie anglo-saxonne, abordant ainsi les espaces productifs les plus vairés : cadres, employés, artistes, professions libérales, avec une attention particulière aux phénomènes d'identité professionnelle et sociale : médecins, avocats, financiers, ....
Enfin, la disparition progressive du plein emploi, résultant principalement, et des progrès de l'automation, et des politiques sociales et environnementales inégalitaires d'un pays à l'autre, sur un marché libre - ce qui, en d'autres termes, consiste à jouer au ballon sur le même terrain en appliquant des règles différentes -, a donné naissance à des politiques de l'emploi, entendues comme des mesures spécifiques de lutte contre le chômage et d'amélioration du marché du travail, lesquelles, n'en doutons-pas, ont pour effet de faire financer par la collectivités des actions tendant à sauvegarder la paix sociale pour perpétuer la rentabilité de l'outil de financement, propriété du petit nombre, non concerné, voire si peu, par la contribution collective !
21 – Travail - Organisation sociale & Malheur -
L'organisation de la société autour du travail a donné naissance à des droits reconnus comme des "acquis sociaux" dans la société française ; cependant, ce mécanisme juridique n'est pas suffisant pour assurer la sécurité de l'emploi, alors même que les dispositifs de protection sociale, dont l'indemnisation du chômage, tentent d'en atténuer légèrement les effets.
L'organisation scientifique du travail, qui touche maintenant l'ensemble des domaines de l'activité professionnelle, tend à faire disparaître toute notion d'intérêt au travail à raison de la perte de plus en plus prononcée de l'initiative individuelle. En effet, la concentration capitalistique implique la mise en place d'une technostructure dévorant toute marge d'initiative, sans faire état des incohérences paralysant les plus perspicaces.
Observons enfin que les évolutions techniques issues des progrès de la recherche scientifique nécessitent une évolution de plus en plus poussée des compétences des agents des secteurs productifs, qui n'ont, malgré les dispositifs de formation continue, ni le temps, ni les moyens, y compris intellectuels, d'y faire face, ce qui est largement porteur d'insécurité de l'emploi ; cette observation est, s'il en était besoin, confirmée par la durée moyenne des générations dans les métiers, notamment ceux à fort investissement technologique.
Est ainsi constatée une contradiction profonde résultant de la place du travail dans notre société, celui-ci demeurant un élément structurant, tant au niveau individuel que collectif, alors que ses contours se brouillent de plus en plus pendant que ses condition d'exercice se dégradent dans la quasi totalité des secteurs.
Ce qui explique que, faute de pouvoir prédire "la fin du travail", eu égard notamment à son rôle moteur en matière d'acquisition des ressources nécessaires à la survie individuelle, on assiste à une redéfinition de sa place dans la société, de son rôle au sein de la collectivité, des rapports entre le salarié et son entreprise, le tout en réaction à l'émergence de l'importance des formes de précarité du "Travail".
Il ne faut toutefois pas désespérer, compte tenu, notamment, de la nature même du système du capitalisme outrancier de libre-échange, de la raréfaction des ressources naturelles, la perte progressive du pouvoir d'achat, levier de la demande (au sens économique), sera le moteur duquel sera tirée l'énergie nécessaire à la réémergence d'un nécessaire rééquilibre indispensable au retour à un mode de vie n'encourageant plus ces systèmes de gestion économique ; mais à quel prix social ?
III – EN CONCLUSION -
L'émergence de l'importance de l'insatisfaction au travail, activité principale pour laquelle il n'existe, pour l'heure, aucun équivalent susceptible de le faire disparaître en tant qu'activité de subsistance, est de nature à faire peser une menace de plus en plus sérieuse sur les équilibres sociaux ; la baisse de l'activité économique, résultant de la raréfaction du travail, va accroître, de manière exponentielle ces déséquilibres, dès lors que la collectivité n'aura plus les moyens de jouer son rôle régulateur et compensateur sur la répartition des ressources.
Il en résulte que c'est une nouvelle organisation sociale, susceptible de respecter des équilibres sociaux, qui s'y substituera pour inverser la tendance observée du mal-être au travail ; cette organisation, si elle est à peu près connue des chercheurs libres en sciences sociales, se heurte bien évidemment aux résistances de tous ordres des organisations économico-politiques bénéficiaires du système actuel dont la responsabilité est fortement impliquée quant à la survenue, au maintien et à l'accroissement de la paupérisation des populations de maintenant tous les continents ; il ne semble pas utile de faire appel à nos États surendettés, clients de ces organisations, pour conduire un tel changement...