33 - La Paresse -
I – LE CONTEXTE -
L’examen de ce concept intervient dans le cadre de l’étude du corps désirant et du corps agissant.
Étymologiquement, le terme "Paresse" {du latin "pigritia"} désigne une propension à ne rien faire, une répugnance au travail ou à l'effort.
Dans la religion catholique, la paresse est considérée comme un péché, voire le 1° des 7 péchés capitaux, tels qu’identifiés par Thomas d'Aquin, sous le terme "d’Acédie" {mal de l’âme qui s’exprime par l’ennui, le dégoût pour la prière, la pénitence, la lecture spirituelle}, ou paresse spirituelle ce qui en atténue sa portée, les autres étant l’orgueil, la gourmandise, la luxure, l’avarice, la colère et l’envie.
Si "La Paresse" est parfois réduite à un état de molle indifférence, voire de veulerie, il convient de garder à l’esprit qu’elle peut aussi être joyeuse ou contemplative. Par l’inaction et le vide, elle favorise la reconquête de soi ; elle peut alors être une voie de la Sagesse.
"La Paresse" est cependant élevée au rang de Valeur par certains courants contestataires en ce qu’elle bouscule la logique économique qui nous est imposée et qui tend à nous renvoyer collectivement à l’état d’esclave ; elle peut alors représenter une Liberté, celle de refuser un Travail qui nous dévalorise.
Citons, pour éclairer le problème ainsi posé :
- l’ouvrage de Paul Lafargue, « Le Droit à la paresse », édité en 1880, qui se présente comme un manifeste social qui oppose la paresse à la "valeur travail",
- la lettre philosophique "L’oisiveté" de Sénèque (-4 ;+65), fidèle à la doctrine stoïcienne qui place les passions au premier rang,
- et, plus récemment, le film d’Yves Robert "Alexandre le Bienheureux" qui présente un hymne à la paresse à travers le portrait d’un homme qui, à la mort de sa femme, décide de tout arrêter pour enfin se reposer.
Dans le contexte d'une telle étude, il ne semble pas souhaitable de restreindre la notion de "Paresse" au seul binôme "Paresse vs Travail", mais de la considérer dans son acception plus ample en ce qu’elle se rattache au "Corps Désirant" et non au seul "Corps Agissant".
II – DE LA PARESSE -
20 - Selon Emmanuel Kant (1724-1804), "Paresse et lâcheté" sont les causes qui font « qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les eût affranchis depuis si longtemps d’une conduite étrangère, restent cependant volontiers toute leur vie dans un état de tutelle, car il est si commode d’être sous tutelle ».
Un examen critique de nos comportements sociaux ne nous épargne pas, à l’aune de cette définition, dès lors que la complexification de nos modes de fonctionnement, quels qu’ils soient, renvoient sur le spécialiste la résolution des problèmes quotidiens ; on peut toutefois y voir plus une finalité économique qu’un comportement paresseux imputable à chacun de nous !
21 – Y a-t-il un droit à "La Paresse" dans une société fondée sur l'échange des services et des biens que chacun de ses membres peut fournir grâce à son travail ? "La Paresse" est-elle, sur le plan individuel, facteur de risque de déséquilibre du mode de fonctionnement social en ce qu’elle offre à l’individu le droit de recevoir les bienfaits du travail des autres au sein de la société ?
En ce sens, il convient de reconnaître que le droit à "La Paresse" s’opposerait à toute forme de justice sociale. Certes, mais lui opposer le devoir du travail, c'est réduire toute activité humaine à du travail forcé, sans reconnaître aucune liberté de refuser ce travail, ce qui conduit à réduire les hommes à des automates producteurs de richesses dont on peut légitiment douter qu’ils en profitent à hauteur de leur investissement individuel dans le travail.
22 – Il est nécessaire de relativiser cette dualité "Travail - Paresse" et regarder "La Paresse" comme n’étant pas systématiquement en opposition avec le "Travail & l'Effort", mais comme un temps non travaillé, non salarié, destiné notamment au divertissement. C’est bien l’esprit social de 1936…
23 – Tout bon organisateur sait aussi que, si le travail et l'effort répugnent au paresseux, il cherche par tous moyens "à en faire le moins possible" ; c’est l’un des moteurs de l’organisation du travail, le paresseux, pour choisir la solution qui demandera le moins d'efforts, va rechercher les processus ou outils lui épargnant l’effort. En ce sens, "La Paresse" devient un facteur d’innovation.
24 - "La Paresse", est également porteuse d’une vertu conviviale qui rapproche les êtres, qui les fait se rencontrer, les détourne des rivalités ; elle représente une disposition du corps et de l'esprit qui, loin du tracas des affaires, permet à l'homme de se retrouver : en l’état de paresse, i.e. d’inaction, l'homme peut vivre pleinement sa double nature d'individu et d'être social ; car, selon Socrate, sans paresse, point de philosophie, i.e. de réflexion ni d'échanges, point de civilisation. De la Bible à Platon, faire l'éloge de "La Paresse", c'est faire l'éloge de l'Origine, cette paresse perdue, dont la pensée orientale a su longtemps préserver les douceurs, l'Occident la réinventant chaque fois que les à-coups du progrès semblent vouloir l'en éloigner.
III – EN CONCLUSION -
"La Paresse" peut-être regardée comme une attitude physiologique, pathologique et philosophique.
Elle s’inscrit dans la recherche du plaisir de l’individu ; elle est un élément qu’il convient de prendre en compte, notamment dans le monde du "Travail", afin de comprendre le facteur humain, la machine étant étrangère à cette notion de "Paresse".