~ Cercle Philosophique ~

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32 - L'Action -

~ Agir, qu'est-ce qu'agir ?  ~

 

I – LE CONTEXTE -

La philosophie de l'Action s'intéresse aux problèmes relatifs à l'activité humaine, sa nature, ses motivations, ses intentions, ses effets, ses explications. Elle serait née d'une question fameuse de Ludwig Wittgenstein (Vienne 26-04-1889 ; Cambridge 26-04-1951), philosophe dont les contributions ont porté sur la Logique, la théorie des Fondements des mathématiques, et la Philosophie du langage, courants et domaines de la philosophie analytique : "que reste-t-il du fait que je lève le bras si on soustrait le fait que mon bras se lève ?"

Les déterminants dégagés par la philosophie de l’Action conduisent à s'intéresser aux domaines suivants :

- quelle est la nature de l’action humaine ?

- qu’est une action intentionnelle ?

- que signifie expliquer une action ?

- de quelle nature est la relation entre une raison d’agir et une action ?

- les raisons d’agir sont-elles les causes de l’action ?

Outre Ludwig Wittgenstein, les philosophes de l’action les plus importants sont :

Gertrude Elizabeth Margaret Anscombe (Limerick (Irlande) 18-03-1919 – Cambridge 05-01-2001), élève de Wigggenstein,

- Alfred Remen Mele (USA 22-05-1951), auteur de "The Philosophy of Action",

Donald Davidson (Sprigfields (MA) 06-03-1917 ; Berkeley 30-08-2001), dont l’œuvre est un essai de synthèse de divers courants philosophique, tels ceux d'Aristote, Kant, Wittgenstein et autres philosophes de l'Action,

Harry Gordon Frankfurt (Langhome (Pen) 29-05-1929), considéré comme l'un des principaux philosophes américains du XX° siècle,

Maurice Blondel (Dijon 02-11-1861 ; Aix-en-Provence 04-03-1949), philosophe de l'action intégrant des éléments de la pensée néo-platonicienne et du pragmatisme moderne dans un contexte de Philosophie chrétienne.

II – AGIR -

20 – Approche du concept -

Pour l'Homme, "Agir" c'est ne pas "Subir" ; "Agir" est l'opposé de la "Contemplation". En philosophie, "L'Action" désigne un mouvement corporel volontaire et intentionnel.

Chez Aristote (Stagire -384 ; Chalcis -322) "L'Action" {du grec "praxis"}, s'oppose à la "Production" {du grec "poïésis"}, car, alors que la production trouve sa fin en dehors d'elle-même, dans une œuvre achevée, l'action tire son sens d'elle-même, se situant à un niveau supérieur, les activités étant être subordonnées à une praxis, comme une action morale, un savoir, …

Selon Leibniz (Leipzig 01-07-1646 ; Hanovre 14-11-1716) la réalité de "L'Action" est la réalisation du sujet, d'où toute substance réalise une action et contient les raisons de celle-ci. Les esprits, contrairement aux substances matérielles, assument leurs actions. N'est pas ici pris en compte le champ analytique relevant de l'intention, et, par extension, celui de la liberté d'action.

Selon Jean-Paul Sartre (Paris 21-06-1915 ; Paris 15-04-1980), représentant du courant existentialiste, "Les Actions" nous font exister et ne sont pas le simple effet de notre esprit.

Pour Henri Bergson (Paris 18-10-1859 ; Paris 04-01-1941), il n'est pas possible de caractériser "L'Action" comme la production d'une liberté typiquement humaine ; "L'Action" est une affaire intérieure dont l'extériorisation est influencée par le rapport à la temporalité.

Enfin, selon Hanna Arendt (Hanovre 14-10-1906 ; New-York 04-12-1975), surtout connue pour ses travaux sur l'activité politique, le totalitarisme et la modernité, l'individualité propre de l'homme est le fruit de son "Action".

21 – Qu'est-ce qu'Agir -

Selon le bon sens populaire, le monde est coupé en deux : ceux qui pensent et ceux qui agissent, ou, ceux qui parlent et ceux qui agissent.

Écartons de suite de l'analyse cette mystique de "L'Action" sans recul, objet des mises en scènes quotidiennes pour "guignol électronique", selon laquelle il convient d'agir dans l'immédiateté de l'événement ; il s'agit de gesticulations qui consistent à "Réagir" et non "Agir".

Limitons-la également à la notion "d'Agir" librement, hors contrainte, l'action sous contrainte posant alors d'autres problèmes d'ordre moral...

"Agir", c'est accomplir, i.e. déployer l'essence d'une situation dans toutes ses dimensions. Pourtant, Martin Heidegger (Meβkirch 26-09-1989 ; Freiburg-im-Breisgau 26-05-1976), dans sa "Lettre sur l'humanisme", estime que nous ne pensons pas de façon assez décisive encore l'essence de l'agir. On ne connaît l'agir que comme la production d'un effet dont la réalité est appréciée suivant l'utilité qu'il offre. Mais l'essence de l'agir est l'accomplir. Accomplir signifie : déployer une chose dans la plénitude de son essence, atteindre cette plénitude (producere). Ne peut donc être accompli que ce qui est déjà. Or, ce qui est avant tout est l'Être.

Dans ses "Méditations philosophiques", Descartes (Descartes 31-03-1956 ; Stockholm 11-02-1650) pense que la cause principale de nos actions ne serait autre que notre volonté, ce qui présuppose le libre-arbitre, l'absence de toute force inconsciente dans le fonctionnement de chaque individu ; l'idéal de "L'Action" devient la décision libre, l'acte commis en toute connaissance de cause, sans contrainte intérieure. Une telle analyse est maintenant remise en cause par les trois grands courants de la psychanalyse du XX° siècle (Freud, Lacan & Young) qui ont mis en relief la prédominance de l'inconscient, tant individuel que collectif, sur le conscient. Depuis lors, les philosophes modernes (Helmotz, Husserl, Sartre, Merleau-Ponty...) n'ont pas manqué d'intégrer les découvertes des neurosciences à leurs travaux.

A l'impression d'être libres de nos actes, s'oppose l'existence d'un déterminisme universel auquel tout élément vivant de la Nature est soumis, ensemble de lois physiques auxquelles s'agrègent des déterminismes tant biologiques, que sociologiques ou psycho-logiques, qui font que nous agissons en conformité, plus avec les lois de notre espèce, qu'en fonction de notre volonté consciente.

Sont ainsi ouvertes les notions d'analyse de "L'Action" au-travers de celles de la morale, la sagesse, le rapport à soi et le désintéressement...

Qu'en est-il de "L'Action" au regard de sa motivation, de l'intention et des résultats obtenus ?

III – DE L'ÉCHEC -

"Agir", dans le sens d'une action intentionnelle, renvoie implicitement mais nécessairement aux notions "de Réussite" et "d'Échec", selon que le résultat (ou l'appréciation de celui-ci !) soit à la hauteur ou non de ce qui était envisagé.

Examinons, d'une part, ce qui peut être constitutif d'un "Échec" et, d'autre part, comme en toute chose, si la notion "d'Échec" est nécessairement à envisager sous un aspect totalement négatif.

30 – Quand parler d'Échec -

300 – La philosophie occidentale boude bien volontiers "l'Échec" , se fondant d'ailleurs sur les principes de l'enseignement des voies de la réussite, déjà en vigueur dans la Grèce du IV° siècle avant Jésus-Christ, laissant aux poètes tragiques et aux religieux le soin de soigner les échecs.

L'Épicurisme du siècle suivant, pourtant construit sur les ruines de la Cité grecque, s'est aperçu qu'il était vain de proposer aux Hommes le bonheur tel que Platon et Aristote l'avaient conçu, plaçant au premier plan les vertus sociales, notamment celles de Justice, estimant préférable de vivre en repli sur soi-même ; c'est le repli stratégique des civilisations vaincues ; ce modèle ne nous est actuellement pas tout à fait étranger ! Dans ce modèle stoïcien, il ne peut y avoir "d'Échec", à l'exception de "l'Échec" total, et nous devons surmonter "l'Échec" jusqu'à disparaître, ce que l'on retrouve en substance dans la philosophie de Nietzsche.

La Sagesse du Bouddhisme, qui s'adresse aux blessés de la vie, a pourtant été découverte par l'homme le plus heureux de la terre, selon la volonté de ses parents... Ce paradoxe n'est qu'apparent car le prince Siddhârta avait déjà en conscience le fait de ne devoir sa félicité qu'à un assemblage de circonstances fortuites, lui occultant la vérité de l'existence humaine. La recherche des voies de la délivrance sont alors le seul bonheur possible, selon le sermon de Bénarès, selon lequel la vie est souffrance, et la souffrance a pour origine un désir non satisfait.

Pour la tradition judéo-chrétienne, comme sur ce point pour l'Islam, l'existence du mal, donc de la souffrance, fait obstacle à l'accès à Dieu, le garant de la victoire du Bien sur le Mal. La voie de la délivrance est celle du respect de la Loi de Dieu, qui conduit à la santé des individus et à la prospérité des sociétés humaines...

Si Georg Wilhelm Friedrich Hegel (Stuttgart 27-08-0770 ; Berlin 14-11-1831) a tenté de laïciser les thèmes judéo-chrétiens pour les intégrer dans la sagesse grecque d'Aristote et des néo-platoniciens, il a fallu attendre Karl Jaspers (Oldenburg 23-02-1883 ; Bâle 26-02-1969), philosophe de l'existence, après Kierkegaard & Nietzsche, pour placer "l'Échec" à l'origine de la philosophie occidentale.

301 – De ce bref survol il convient de retenir que l'acceptation de "l'Échec", pourtant inhérente au fonctionnement de l'humanité dans la mesure où "l'Échec" est une expérience commune à tous, a toujours été problématique.

Dans une première approche, il y aura "Échec" lorsque le but poursuivi n'est pas atteint, quelles qu'en soient les raisons.

A ce niveau, l'analyse de cette situation repose sur des distinctions philosophiques de perception du Vrai ou du Faux, de l'appréciation des jugements portés sur les résultats de l'action, de la compréhension de cette action, des buts recherchés, de la connaissance de l'ensemble de la situation nécessaire à une analyse objective des résultats, comme des causes "d'Échec" (à qui – à quoi est-il imputable?). Mais "l'Échec" dépend-il du résultat, i.e. du niveau espéré ou souhaité, ou tout simplement de la nature de l'objectif ? En d'autres termes, entre un échec au tiercé dominical et celui au concours d'entrée à l'École polytechnique, parle-t-on de la même chose ?

Il est constant que l'Homme est un être fini qui n'aspire, notamment dans sa manière d'agir, à l'infini ; d'où le risque de paranoïa qui résulte du besoin de viser des objectifs toujours plus élevés.

Dans des actions de haute complexité, voire en recherche fondamentale, au résultat hypothétique, "l'Échec" se situe au carrefour du prévisible et de l'imprévisible ; peut-on alors parler "d'Échec" dès lors que l'on ne tente pas de bâtir sur un terrain stable mais que l'on part à l'aventure, même si ce départ met en œuvre des moyens financiers et techniques colossaux ?

Sur le plan individuel, le niveau d'objectif fixé doit s'apprécier selon la confiance en soi du décideur, la perception de son niveau de compétence et la manière dont est individuellement vécu "l'Échec", puis du degré d'amour propre, voire d'orgueil, de son initiateur, sa conscience des responsabilités, sa manière de positiver en en tirant les fruits de manière à écarter toute possibilité "d'Échec" de même nature.

Mais, en l'absence de risques, existe-t-il une possibilité d'Échec" ?

Puisque le réel et la vie ne sont pas totalement gérables, peut-on s'estimer en situation d'échec dans des circonstances qui, quoique prévisibles, sont regardées comme des échecs ?

Bien sûr, s'il n'est "d'Échec" qu'au regard d'une volonté qui s'estime contredite par la réalité et les faits, pour ne pas échouer ne suffit-il pas de ne rien entreprendre ?

Mais, comme l'écrivait Romain Rolland (Clamecy 29-01-1866 ; Vézelay 30-12-1944) "quand on ose on se trompe souvent, quand on n'ose pas, on se trompe toujours". Selon René Descartes, il y a échec car nous voulons plus que nous pouvons. Pour Joseph Kessel (Anglet 10-02-1898 ; Avernes 23-07-1979) "on peut toujours plus que l'on croit pouvoir". Enfin, selon Franklin Delano Roosevelt (Hyde Park 30-01-1822 ; Warm Springs 12-04-1945) : "Il est dur d'échouer, mais il est pire de n'avoir jamais tenté de réussir".

31 – Un Échec est-il nécessairement négatif -

L'un des fondements de la pédagogie classique est l'apprentissage par "l'Échec" ; et, si le succès, quant à lui, ne produit qu’une ivresse et une satisfaction de soi, la philosophie de "l'Échec" met en évidence ses vertus, la sagesse comme la prudence trouvant bien souvent leurs sources dans "l'Échec". En effet, l'euphorie produite par le succès aboutit invariablement à une perte de discernement, à ne plus se poser de questions, et, selon la formule de Bill Gates (Seattle 28-06-1955) : "Le succès est un mauvais professeur, il pousse les gens intelligents à se croire infaillibles" (et les rend arrogants... à vos postes de télévision !).

Se tromper, c'est, selon Descartes, le résultat du mauvais usage de notre volonté, cette faculté humaine par laquelle nous ressemblons à Dieu. Se tromper offre à chacun la possibilité d'un retour sur soi pour nous laisser le temps de cesser d'agir et de réfléchir sur le sens de notre action ; et ceci n'est possible que lorsque nous ne confondons pas le résultat de notre action avec notre nous-même : rater une action diffère de la notion d'être un raté, sauf si la multiplicité desdits ratés n'incite pas l'esprit du perdant aux nécessités de la réflexion !

Selon Sigmund Freud (Příbor 06-05-1856 ; Londres 23-09-1939), comme selon Jacques Lacan (Paris 13-04-1901 ; Paris 09-09-19814), nos "Échecs" doivent nous grandir car "c'est quand ça ne marche pas que l'on comprend comment ça marche".

La réussite a un coût et n'est jamais une succession de succès, mais une alternance de succès et d'échecs : "La France a perdu une bataille mais n'a pas perdu la guerre", disait Charles de Gaulle dans son Appel aux Français du 18 juin 1940 !

Dans le domaine de la recherche, comme d'ailleurs dans celui de la vie courante, "l'Échec" invalide une orientation là où une succession de succès ne suffit pas à la valider. Pour Lao Tseu (Henan -640 ; -531) : "L'échec est au fondement de la réussite" en ce qu'il permet une remise en cause infiniment plus profitable qu'une suite de succès sur des orientations inadaptées voire erronées.

"l'Échec", quant il instruit son auteur, après une exploitation sensée des causes et des effets, se révèle extraordinairement utile et formateur. "On apprend peu de la Victoire, mais beaucoup par l'échec", dit un proverbe japonnais. Et, à la différence de "L'Échec", le succès n'apprend pas grand chose, il enivre.

IV – EN CONCLUSION -

Dans son ouvrage "La Formation de l'Esprit Scientifique", Gaston Bachelard (Bar s/Aube 27-06-1884 ; Paris 16-10-1962) estime que : "Le progrès scientifique n'est qu'une suite d'erreurs rectifiées".

Dans un siècle qui idéalise l'action, la performance, la réussite, le modèle de l'individu infaillible, la notion "d'Échec"n'est encore pas admise ; d'ailleurs, le premier déficit du management actuel des individus, à supposer même qu'il soit parvenu à intéresser lesdits individus à son action, est de ne plus savoir punir, la punition étant ressentie comme portant uniquement sur ce que "l'on est" et non sur ce que "l'on a fait" (ou pas fait).

Selon la célèbre formule d'Albert Einstein (Ulm 14-03-1879 ; Princeton (USA) 18-04-1955) : "Une infinité de succès ne suffira jamais à me prouver que j'ai raison, tandis qu'un seul échec expérimental suffit à me prouver que j'ai tort."

Comme disait Emil Cioran (Răşinari 08-04-1911 ; Paris 20-06-1996) "J'ai connu toutes les formes de la déchéance, même le succès", formule reprise par Jean d'Ormesson (Paris 16-06-1925).

Un peu d'humilité, avec, comme travail pratique, la visite mensuelle alternée d'un centre hospitalier et d'un centre de détention, et nous allons redevenir en conscience de pauvres humains faillibles.



22/01/2017

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