31 - Odorat & Bonheur -
I – L'ODORAT -
Aborder cette notion de "L'Odorat" consiste à dépasser les préjugés dont souffre ce sens négligé pour le réhabiliter par la promotion d'un art olfactif, l'élaboration d'une esthétique olfactive, autre forme de spéculation dans laquelle évolue la philosophie.
Si "l'anosmie", qui est le trouble de l'odorat, doit beaucoup aux philosophes, ils n'ont pourtant que très rarement mis le sens olfactif au centre de leurs préoccupations.
II – ODORAT & BONHEUR -
Il est flagrant de constater combien ce sens est dévalorisé, considéré comme primitif, bestial, incommode, sale, immoral...
D'ailleurs, le monde des philosophes reste principalement celui de la vision, de la lumière, des formes, plus rarement de la papille et des naseaux...
Et pourtant des expressions comme "à vue de nez", une industrie comme celle des parfumeurs, lui ont défini un indéniable statut esthétique.
Ainsi, la respiration d'une odeur renvoie à une expérience physique mais aussi métaphysique eu égard à l'émerveillement des sens qu'elle suscite et qui dépasse le seul plaisir sensoriel olfactif :
- cf. "A la recherche du Temps perdu" {(T. 1) "Du côté de chez Swann"} de Marcel Proust et son expérience de "La Madeleine", qui fait remonter un souvenir à la mémoire d'un être et stimule, selon son état du moment et les circonstances vécues, une sensation de bonheur, ou son contraire,
- depuis la grande épidémie de peste noire de 1348, l'imaginaire populaire a persisté à voir dans la peste une odeur démoniaque corrompant l'air et symbolisant la rupture entre le ciel et les hommes.
Il existe ainsi une rupture intellectuelle entre le corps et l'esprit en matière d'odorat, prégnante dans la philosophie idéaliste grecque, mais accentuée par des siècles de christianisme en Occident ; difficile de ne pas faire le lien entre l'excitation par l'odorat et les péchés de chair !
Pour les Rationalistes, l'odorat n'ayant pas la subtilité (apparente) de l’ouïe ou de la vue, est alors un sens de niveau inférieur ; il est clair qu'il est singulièrement atrophié par rapport à celui de certains animaux, dont la survie est conditionnée par son développement ; il en est d'ailleurs de même pour l’ouïe. Cependant, ces limites trouvent leur origine dans l'impossibilité de leur quantification. Et pourtant, une éducation du nez permet à un parfumeur de distinguer jusqu'à 3 000 produits distincts !
Chez Kant, l'odorat, comme le goût, sert la jouissance et non le savoir ! De même, si le goût est par excellence un sens social (déjeuners en commun), l'odeur "étend sa mainmise sur le monde... et pénètre dans notre intimité" sans que l'on puisse lui opposer de barrages.
Chez Freud, également, est encore présente la répression de l'odorat en tant qu'il est assimilé à l'animalité et à l'érotisme.
Chez ces philosophes, l'odeur fonctionne comme un facteur de discrimination au service des discours de même ordre : "je ne peux pas le sentir, tu pue, ça sent, …" Et ces odeurs il est difficile de les contrôler, l'industrie chimique ne réussissant que difficilement à les masquer, et pour un temps réduit ! Il convient d'ailleurs de remarquer que l'odeur renvoie directement à l'individu, intervenant en première analyse, précédent tout autre forme de jugement sur ce même être odorant... Il en résulte que l'analyse primitive prime l'analyse intellectuelle !
Heureusement, Nietzsche a proposé une rupture de ces courants de pensée en réhabilitant l'odorat qui sert de critique à une morale qui culpabilise l'homme civilisé quant à ses instincts.
Comme tous les sens, celui-ci renvoie-t-il chacun dans sa mémoire inconsciente pour restimuler des instants vécus, un affect spécifique.
En ce sens, il constitue un "Bonheur" s'il renvoie à ce qui fait plaisir.