~ Cercle Philosophique ~

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27 - Douter des Médias -

I – LE CONTEXTE -

Dans la recherche d’une définition du concept de Dieu, nous avons abordé les questions relatives à la croyance et à l’ignorance, aux bienfaits et méfaits de la croyance ; dans le cadre de nos interrogations sur la notion de doute, examinons l'étendue du problème posé en abordant la finalité poursuivie par les mass media afin de mettre en lumière les distorsions d'objectifs poursuivis par les médias et leur public.

II – ÉTENDUE DU PROBLÈME -

Quelques éléments sont nécessaires pour débroussailler le problème.

"Un média" est un moyen destiné à diffuser une information ; le vocable anglophone "mass media", ou francophone "média de masse", définit celui qui dispose de la faculté d’atteindre une très large audience ; limité à cette seule finalité, la logique des "mass media" est exactement la même que celle de la propagande : toucher un large public ; mais il existe également des médias d'audience très limitée, ciblant une information également limitée, voire même une information extrêmement précise et pointue au point de nécessiter des outils conceptuels élaborés pour être comprise et assimilée ; ce principe d’information partagée, vecteur de communication et de savoir, est bien évidemment totalement étranger à la logique des médias de masse.

Kant voyait dans la diffusion du savoir l’élément essentiel pour conduire le monde vers le règne des fins, une société raisonnable des esprits. Kant parle de "principe de publicité" pour désigner ce que nous appelons aujourd’hui "transparence". Personne n'ignore ce qu’il est advenu de la publicité, exactement le contraire de la diffusion transparente d’un savoir, un outil créant un usage pulsionnel de confusion engendrant les conditionnements nécessaires à apparier "la cible" aux besoins de l'annonceur.

Si les penseurs, dans la lignée des Lumières, ont pu se réjouir de ce que la révolution, résultant de l'invention attribuée à Gutenberg, allait permettre une diffusion massive du savoir en direction des peuples qui désormais allaient sortir de l’ignorance, les intellectuels libres ne peuvent que s'attrister de l’étrange renversement qui s’est produit depuis lors !

"Informer" {du latin informare = mettre en forme}, en tant que concept, se rapporte à des notions telles que celles de "Réalité" et de "Vérité". En termes généraux, la "Réalité" ferait référence à ce qui existe et ce dont nous faisons partie, donc à notre expérience avec le monde. La "Vérité", souvent comprise comme synonyme de "Réalité", serait ce qui est conforme au réel.

III – LA FINALITÉ POURSUIVIE PAR LES MÉDIAS -

30 - Faire la critique des "mass media" est un exercice, s'il peut paraître banal ou commun, en réalité très difficile en ce qu'il convient de concilier deux points de vue :

- la constitution d'éléments à charge contre les manœuvres du pouvoir, propriétaire des "mass media", qu'il soit politique, financier (pour ceux qui estiment qu'il s'agit d'un pouvoir distinct !), qui cherche à désinformer, à sur-informer, à créer des diversions,

- la dérive quotidienne de l’insignifiance, des reportages creux, des micros-trottoirs débilitants, des faits divers minuscules, le tout faisant partie d’un torrent d’informations de plus en plus inconsistantes, mais qui sont censées intéresser les "vrais gens".

Constatons que, selon les cas, le journaliste est, soit un héros, soit d’une banalité insignifiante.

31 - Les médias nous disent-ils la vérité ? Quelles vérités sommes-nous en droit d’attendre des journaux, magazines, supports audio-vidéo de toute nature ? Quelles vérités sont-ils capables de nous proposer, qu’ils soient imprimés, diffusés par la voie des ondes (radio et télévision), ou par Internet ?

La recherche du "Vrai" dans l’information journalistique est soumise à la complexité d'ordres de "Vérité" des faits et des formes d’expression journalistiques, l'ensemble conduisant à s'interroger sur la question de "l’Objectivité", ce qui nécessite neutralité et prudence.

Le "Devoir de vérité" a un corollaire, c’est le "Droit à l’erreur", cette dernière, une fois établie, doit être avouée et corrigée ; soyons comptable des erreurs avouées pour apprécier le niveau atteint dans la mise en œuvre du "Devoir de vérité", sauf à admettre que la perfection est le domaine réservé des médias d'information...

32 - Et pourtant, on pourrait croire que la liberté des médias est vitale pour nos démocraties, puisqu'il nous est sans cesse asséné que, sans elle, les autres libertés sont impossibles, sinon illusoires : la vérité seule, selon Saint Jean, nous "rendra" ou nous "fera" libres !

Soyons un instant raisonnables en prenant en compte la mesure des difficultés de leur mission, en ne les mettant pas systématiquement en accusation à tout instant, en ne nous défaussant pas sur eux de nos propres erreurs, de nos propres fautes, de nos illusions. En clair, ayons l'intelligence de l'artisan utilisant un outil.

Certes, mais si nous estimons que la mission générale des "médias de masse" est d’informer les citoyens pour qu’ils puissent se former leur propre opinion, accordons-nous à exiger que les médias respectent la "Vérité" et que les informations qu’ils proposent soient exactes ; pour l'apprécier, il nous appartient d'évaluer et de juger la véracité des informations ; ainsi, s'informer, est une opération complexe, résultant d'une démarche personnelle, constructive, analytique, qui ne saurait être sous-traitée à un unique média... "On a l'information que l'on mérite" était-il suggéré dans d'une précédente présentation.

Pourquoi alors, évoque-t-on sans cesse un malaise dans l’information ? Pourquoi ce paradoxe d’une information à la fois omniprésente et inutile, surabondante et trébuchant néanmoins avant d'atteindre l’essentiel de sa mission qui est d'informer, de présenter des faits, des concepts, des idées, ou tout autre élément permettant à chacun d'approcher sa vérité, se forger sa propre opinion sur ce qui lui est proposé.

33 - Il n'est pas inopportun de rappeler que l'outil d'influence d'un "mass media "se mesure en terme "d'audience", indicateur qui est très utile pour prospecter les annonceurs de publicité, moyen de financement quasi-essentiel dudit média... Il en résulte une stratégie destinée à retenir le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur, afin de vendre à un prix le plus élevé possible aux annonceurs un "temps de lavage de cerveau". Informer se résume alors à l'ère du "scoop" qui, par essence, s'affranchit de toute exigence :

- de rigueur nécessaire à l’indispensable vérification des éléments communiqués, même dans l'urgence,

- de mise en perspective des faits et des idées,

une telle obsession de vitesse et de compétition entre annonceurs produisant en outre sur les destinataires un effet de sidération, contraire à la réflexion nécessaire à l'intégration intellectuelle d'une information dans son contexte le plus étendu ; est ainsi créée l’information de divertissement, de fiction, de publicité, de relations publiques, mélangeant alors des genres qui gagneraient à demeurer distincts. "Le mélange du vrai et du faux" disait Paul Valéry, "est plus faux que le faux" !

Aussi, propagande et marketing ne deviennent-ils qu’une seule et même chose ; d’ailleurs, conseillers en communication et publicitaires ont été formés aux mêmes sources puisque ce qui intéresse les annonceurs, comme les commanditaires d'une campagne de communication, c’est la puissance de pénétration du "mass media" dans les foyers.

34 - Qui dit "mass media" dit "pouvoir-sur", i.e. pouvoir exercé parfois sur l’opinion à des fins consuméristes, mais aussi politiques : à des fins de création de pulsions et de contrôle des désirs en matière de consumérisme, de manipulation de la pensée et de l'opinion en matière de communication politique... Ainsi, ce ne sont que quelques meneurs d’opinion, membres d’une élite, qui proposent les pensées que le public adopte, faute de discussion critique lors de sa diffusion et en raison de la passivité, de la paresse, voire de l'inculture du plus grand nombre d'auditeurs de cette pseudo-information.

Une lecture des écrits des théoriciens de la "communication de masse" comme Bernays, Naomi Klein ou Chomsky, notamment, permettra de faire l'économie de l'accusation de "conspirationnisme" à la lecture d'un tel tableau ; il est incontestable que le concept de "mass media" a été pensé, théorisé et mis en pratique dans les années 1920, délibérément, et comme moyen de manipulation. Les preuves abondent à ceux qui voudraient s'en convaincre.

L’autorité d’un philosophe tel que Raymond Aron, d’un écrivain comme Albert Camus, s’enracinait dans leur souci permanent d’exactitude et de sincérité, ce qui les distinguait d'ailleurs de leurs principaux détracteurs ! Cette recherche courageuse de "La Vérité" devrait être la vocation du journaliste ; à l'exception de cette espèce en voie de disparition qui est celle du journaliste d'investigation, le journaliste actuel n'est plus un observateur, mais seulement un interprète et un narrateur, qui ne trouve plus d'autres sens à son métier que ceux de son adhésion et de sa soumission à ses employeurs, au détriment de notre attente informulée d’objectivité et de vérité ?

35 - Admettons enfin que, pour certains, la vérité serait dans les faits, que pour d’autres, elle serait dans le discours tenu à propos de ces faits.

- Pour les premiers, la mission serait remplie si tous les médias, compte tenu de leur mode d''accès au marché de l'information (concentration des agences de presse oblige) ne se bornaient pas à distribuer les mêmes faits ! Ainsi, une première censure, voire manipulation, s'opère-t-elle à ce niveau initial ; pour s’en convaincre, écouter "les informations" sur une chaîne de radio comme Europe 1, d’abord à 5 h 00 puis à 7 h 30...

- Pour les seconds, tout commentaire comporte une valeur subjective.

Or, la véracité d’une information dépend des preuves qui la valident ; mais ces preuves sont fournies par les médias selon les modes précités. Une telle manière de voir les condamne évidemment. Et pourtant, on admet qu'une "nouvelle" est vraie quand son contenu fait l’objet d’un "consensus social" ; mais ce consensus se réalise à partir de la crédibilité de la source, de celle du journaliste, et des preuves fournies ; à ce stade, le public, et même à se les donner, n’a pas les moyens, au moment où il les perçoit, de juger de l’exactitude des faits ainsi rapportés par les médias, n'en appréciant que le caractère vraisemblable ; or, ce qui est vraisemblable, est trop souvent ce qui est conforme aux attentes du public, attentes parfois préparées de longue date au moyen de manipulations des plus élaborées. En outre, n'oublions pas que, pour qu’une information soit considérée comme vraie, il ne suffit pas qu’elle existe réellement, mais plutôt que les médias s’accordent à la considérer comme telle !

Ainsi, "La Vraisemblance" est un piège, et "L’Objectivité" n’est pas une garantie de "Vérité" mais une stratégie discursive conçue dans un but économique. N'oublions jamais qu'une information n'est distribuée sur un média qu'après de nombreux filtres et examens !

Une telle manière de voir la réalité condamne à l’avance les médias en tant qu'agents d'information.

IV – EN CONCLUSION -

Toute réalité extérieure à l'individu est complexe, plurielle, et se présente à lui de façon particulière.

Si, pour apprécier la vérité des informations fournies par des médias, chaque individu estime qu’une information est vraie ou fausse à partir de sa propre expérience, le critère de vraisemblance peut s’avérer pertinent. À partir de sa propre expérience, l'individu peut également juger de la valeur de vérité des informations qui lui sont soumises. Quant à son objectivité, gardons présent à l'esprit qu'elle résulte d’un ensemble de stratégies discursives, propres au champ journalistique, conçues dans un but économique.

Si le journalisme a participé à l’essor de la démocratie, en est-il toujours ainsi ? Alors méfiance quant au message tendant à justifier l’objectivité des médias comme un droit démocratique nécessaire à l’accomplissement de leur mission civique face à la société...

Enfin, ne manquons pas d'observer que l'attente du public est construite sur une mauvaise compréhension du fonctionnement médiatique ; tant que "L'Objectivité" continuera à être revendiquée comme une garantie de "Vérité", le public va continuer à attendre des médias "La Vérité'.





20/01/2017

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