~ Cercle Philosophique ~

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24 - Douter de Soi -

ILE CONTEXTE -

Au soutien de la recherche d’une définition du concept de Dieu, ont été abordées les questions relatives à la croyance et à l’ignorance, aux bienfaits et méfaits de la croyance ; dans le cadre des interrogations inhérentes à la notion de doute, sera examinée la proposition "Je n’en crois pas mes yeux !" sous le double aspect de l’évidence et de la connaissance.

II – L'ÉVIDENCE -

L'évidence, c'est ce qui se voit comme "le nez au milieu de la figure", c’est "ce qui crève les yeux" !

Une évidence {du latin videre = voir}, c’est ce qui s'impose à l'esprit comme une vérité ou une réalité, sans qu'il soit besoin d'aucune preuve ou justification.

Le constat des liens logiques qui relient les deux concepts centraux exposés dans ces définitions montre le glissement de domaines, du sensitif à l’intellect.

L’expression du langage courant "ça crève les yeux !" confère à l’évidence le caractère d’immédiateté, i.e. une réalité s’imposant à notre conscience. Cependant, comme il vient d’être indiqué supra, dès lors que l’évidence résulte de l’analyse intellectuelle d’une perception sensitive, en l’espèce visuelle, elle revêt deux formes :

- l’évidence immédiate, celle qui couvre ce que l'on est spontanément porté à tenir pour vrai, sans qu’une remise en cause soit utile, sans soumission au processus du doute ;

- l’évidence terminale, celle qui intervient à la fin d'un processus d’analyse résultant du doute que fait naître l’observation ; en ce cas, c’est une idée qui a résisté au doute.

Pourtant, nous sommes en permanence victimes d’illusions d’optique : trompe-l’œil, effets d’optique, effets de stroboscopie, images et séquences vidéo corrigées, manipulées, truquées, illusions qui résultent à la fois de notre système de perception, d’analyses optiques, de manipulations techniques, ...

Déjà René Descartes (1596-1650), fondateur et théoricien de la conscience individuelle appelée à être seule juge du vrai et du faux, du bien et du mal, dans "Le Discours de la Méthode", mettait systématiquement en doute toutes les évidences communes pour aboutir à une seule certitude : "Je pense, donc je suis !".

Cependant, pour lui, l'évidence était la marque de la vérité, l'illustration la meilleure en étant les mathématiques, mais également les sciences, et toute discipline qui conduit de la divergence des esprits à l'évidence qui les accorde, rompant ainsi avec la méthode scolastique de la recherche de la vérité.

C’est pourquoi Leibniz (Leipzig 1646 – Hanovre 1716, philosophe, scientifique, mathématicien & logicien, diplomate, juriste, bibliothécaire et philosophe allemand, qui écrivait à la fois en latin, en allemand et en français... !), par application de son "principe de raison suffisante", de "la raison déterminante ", du "grand principe du pourquoi", qui l’a guidé dans ses recherches, fera une critique radicale de cette conception cartésienne, montrant des "erreurs mémorables" que Descartes avait déduites de ses évidences ; il y voit une simplification, une méthode approximative, aux conséquences funestes pour la vérité scientifique. Pour Leibnitz, rien n’est sans une raison qui explique pourquoi il est, plutôt qu’il n’est pas, et pourquoi il est ainsi, plutôt qu’autrement.

III – ÉVIDENCE & CONNAISSANCE -

. Ce que l’on juge comme évident se présente en premier lieu comme une connaissance immédiate, cette connaissance immédiate qui nous apparaît comme évidente en raison de l’expérience de notre vécu conscient, voire inconscient.

C’est le cas lorsqu’il n’y a pas d’intermédiaire entre le sujet connaissant et l’objet connu ; alors, les deux se confondent pour ne former plus qu’un, et ce que l’on vit s’impose forcément à soi-même, de telle sorte que notre existence sensible nous apparaît comme évidente.

Comme illustration de ce domaine, citons le cas particulier de la représentation sentimentale qu’est le "coup de foudre", qui se caractérise comme un choc émotionnel ; cette évidence sentimentale s’avère alors immédiate, aux sens chronologique comme philosophique ; l’impression d’une intuition est le fait du désir soudain qui est éveillé.

Plus généralement, on est en présence d’une connaissance immédiate dès lors que nos sens sont sollicités ; on peut alors parler d’évidence sensible car point n’est besoin de solliciter son intellect pour accéder à cette certitude d’un savoir perçu par nos sens.

Au sens philosophique, remarquons que ces évidences premières présentent un caractère singulier, en ce qu’elles relèvent du seul ressenti individuel ; il ne saurait alors être possible de les faire passer sans médiation au niveau universel...

Ainsi ces évidences, qui ne le sont pas autant qu’elles le paraissent, relèvent du seul domaine de la croyance, non de la connaissance.

Ces évidences sensibles et sentimentales peuvent s’avérer bien souvent n’être que des illusions qui, en raison de leur nature trompeuse, ne peuvent être considérées comme des connaissances.

En effet, le propre de l’illusion est de ne pas se dissiper lorsque l’on en prend conscience, en raison de l’absence de fiabilité totale de nos sens ; d’où la nécessité, selon Descartes, de l’introduction du doute méthodique comme nécessité pour parvenir à la connaissance vraie : "Tout ce que j’ai reçu jusqu’à présent pour le plus vrai et assuré, je l’ai appris des sens, ou par les sens : or j’ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs, et il est de la prudence de ne se fier jamais entièrement à ceux qui nous ont une fois trompé " {méditation}".

Ces évidences premières, objet d’expériences individuelles, donc soumises à notre subjectivité, sont partiellement dénuées de fiabilité ; c’est sur ce point que porte la critique que Leibniz adresse à la notion d’évidence, telle que définie par Descartes, qui peut être trompeuse en ce qu’elle est un critère trop subjectif pour conduire la Vérité.

Mais, ce qu’il faut dénoncer, ce ne sont pas les évidences sensibles en tant que telles, mais les évidences sensibles en tant qu’elles tendent à s’affirmer comme des évidences rationnelles ; c’est la signification de la 6° Méditation de Descartes : "Mais je ne vois point qu’outre cela elle m’apprenne que de ces diverses perceptions des sens nous devions jamais rien conclure touchant les choses qui sont hors de nous, sans que l’esprit les ait soigneusement et mûrement examinées".

Enfin, pour fonder un véritable concept d’évidence comme proposition dont on ne peut douter, l’évidence ne saurait se limiter à ce qui paraît indiscutable à un individu, mais tendre vers ce qui l’est effectivement et universellement de droit à tout esprit humain... en se gardant bien d’affirmer que les illusions collectives seraient l’expression de la Vérité...

. A quel titre et dans quelles conditions l’évidence pourrait se définir comme connaissance ?

Il résulte de ce qui précède qu’un examen critique de l’évidence est nécessaire pour la reconnaître comme une évidence véritable, en déceler le caractère illusoire qui résulte de la perception sensitive immédiate. Selon Descartes, 4 préceptes sont nécessaires pour arriver à la connaissance, dont le premier se révèle être une conceptualisation implicite de l’évidence construite : "Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle : c’est-à-dire d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute".

En fait, il convient d’opérer un renversement intellectuel de notre rapport de l’évidence à la connaissance : c’est la science, en tant que connaissance vraie, qui implique l’évidence, ce qu’énonce d’ailleurs Descartes dans sa 2° Règle : "Toute science est une connaissance certaine et évidente".

L’évidence serait alors la propriété des connaissances claires et distinctes. Mais, comment y parvient-on ?

En analyse, on compte deux modes de connaissance : la déduction et l’intuition.

. La première, relève du domaine du rationnel, de la connaissance par excellence. Selon Descartes : "La déduction, ou l’opération pure par laquelle on infère une chose d’une autre, peut certes s’omettre quand on ne l’aperçoit pas, mais ne peut jamais être mal faite par l’entendement, même le moins raisonnable" {dans les "Règles pour la direction de l’Esprit"}. La déduction est un enchaînement cohérent de phénomènes reliés par les "chaînes de la raison".

. En revanche, quel statut donner à l’intuition ?

L’intuition se définit philosophiquement par son mode de connaissance immédiate ; mais comme l’intuition sensible est sujette à l’erreur, qu’en est-il que l’intuition intellectuelle ?

On peut définir l’intuition intellectuelle comme la faculté de saisie immédiate d’une connaissance à partir d’éléments recueillis par la seule perception de l’esprit. L’évidence que représente l’intuition intellectuelle est le fondement nécessaire à toute connaissance. En effet, selon Spinoza : "[...] que nous appellerons Science intuitive. Et ce genre de connaissance procède de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses" {dans "Éthique"}  ; dans ce contexte, l’évidence, comme intuition intellectuelle, serait le point de départ absolu et inévitable à toute connaissance originaire.

IV – EN CONCLUSION -

"Je n’en crois pas mes yeux" est la démarche intellectuelle intuitive qui consiste à substituer, après que celle-ci nous ait sollicités, à l’évidence immédiate, l’évidence terminale, laquelle, partant du doute, est le résultat du processus intellectuel qui, par le raisonnement, conduit à la connaissance rationnelle.

Mais, sont-ce les outils appropriés pour accéder à la Connaissance universelle ? Le doute plane en ce que l’Irrationnel d’aujourd’hui est le matériau sur lequel se construira le Rationnel de demain...



19/01/2017

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