~ Cercle Philosophique ~

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22 - Le Mensonge -

I – LE CONTEXTE -

Je n’aime pas être trompé, donc je n’aime pas le mensonge… Mais, puis-je me vanter de n'avoir jamais déguisé ou dissimulé la vérité ?

Toutefois, n'y a-t-il pas des mensonges justifiés ? Nos pensées ne sont pas toujours avouables, l’expression du moindre de ses sentiments est-elle pertinente pour le maintien d’une vie sociale ? Le corps médical doit-il toujours révéler au malade la gravité de son état ? Un gouvernement démocratique peut-il mettre à la portée de chacun tous ses secrets diplomatiques ou stratégiques, avec le risque évident d'en informer l’adversaire ?

Un devoir absolu de vérité n'est-il pas trop rigide ou abstrait pour être applicable ?

II – APPROCHE DU MENSONGE -

20 – Tentative de définitions -

Pour le philosophe Alain : « Le mensonge consiste à tromper sur ce qu’on sait être vrai, une personne à qui on doit cette vérité-là. » ; ici, est introduite une notion de devoir envers autrui d’enseigner la Vérité.

Le mot mensonge viendrait du latin "mens", qui veut dire esprit, et de "songe", rêve. Le mensonge comme songe de l'esprit... Ne s’agirait-t-il pas d'une étymologie mensongère et fausse ?

Le mensonge peut se définir comme l’acte de langage consistant à émettre une déclaration intentionnellement fausse dans le but :

- de masquer une vérité, de dissimuler une pensée, un fait…

- mais aussi de manipuler son interlocuteur, d’abuser de sa confiance, de sa bienveillance, de son ignorance, de sa crédulité.

La vérité doit être ignorée de ceux à qui le message est destiné, mais pour être totalement opérative, il faut que ces derniers soient abusés sur sa nature et sur ses mécanismes. Ainsi ce mensonge met en œuvre 3 mécanismes pour se manifester :

- une connaissance assez exacte du réel ;

- une discrimination entre l'objectif poursuivi et le sujet visé ;

- une imagination suffisante pour construire la fable et en préparer les parades.

Et, pour être un bon menteur, il faut jouir de trois facultés : une bonne mémoire (pour se souvenir des mensonges émis), de l'imagination et des dons de comédien !

Ainsi, le mensonge ne se résume pas à un énoncé volontairement erroné, il peut être lié à un but, une intention ; philosophiquement, doit s’opérer une dissociation entre le mensonge et son but, voire ses conséquences. Ce qui conduit à s’interroger sur la valeur du mensonge selon la bonne intention poursuivie…

Si le mensonge n’est pas totalement inséparable de la question de la Vérité et de la falsification, son caractère fautif, en revanche est inséparable de la notion de Volonté de mentir.

21 – L'approche philosophique -

Selon la morale kantienne : « Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen » et Kant nous demande d'être attentif à la Loi morale, la voix de notre conscience qui interdit tout mensonge.

La tradition philosophique a bien souvent présenté le philosophe comme l'Homme ami du Vrai. Pour Platon, le mensonge était un crime contre la philosophie, et le philosophe, ami du savoir (philosophos), devait l'être également de la vérité (philalethes). Il a pour tâche de lever les voiles, les masques. Il convient de faire l'éloge de la sincérité et de souligner la laideur du mensonge... Mais qu’en est-il des dangers d’une sincérité émise sans discernement, d'une exhibition impudique de Vérité ?

Le mensonge est toujours condamnable ? Rien n’est moins sûr dès lors que l’on distingue les différents motifs conduisant à dissimuler la vérité. Si le mensonge peut en effet nuire à autrui, il convient aussi de considérer le mensonge dans l’intérêt de la personne, celui qui vise à épargner une souffrance. Mais, dans ces conditions, existe-t-il un droit au mensonge ?

22 – L'objectif recherché -

Selon la morale kantienne :

. Pourquoi l'homme ment-il ? Souvent, pour rester heureux, pour le devenir, voire obtenir des instants de répit ou de quiétude.

La plupart de nos mensonges ont pour mobile ce que Kant, encore une fois, appelle l'amour de soi : je mens pour ne pas être ridicule aux yeux d'autrui, pour être aimé. Mentir, c'est faire passer son bonheur avant son devoir. C'est donc par amour de moi-même que je vais me permettre de faire une exception à une règle à laquelle je reste foncièrement attaché, celle qui commande de ne pas mentir. C'est donc par faiblesse plus que par réelle méchanceté que je vais mentir.

. Le mensonge est une pratique très répandue dans la vie quotidienne où il joue un rôle considérable ; c’est un élément récurrent de la relation humaine ; il occupe dans nos sociétés organisées une place très importante. Pour une société qui tend souvent à substituer, au moi individuel, un moi collectif, alors que chaque individu possède une partie de lui même antisociale, la plus ancienne, la plus résistante, la plus vivace, il lui faut, dès lors qu'il accepte de vivre avec ses semblables, sacrifier cette facette antisociale. Aussi le mensonge permet-il de s’affranchir des barrières du conformisme pour sauvegarder ses désirs et ses convictions.

. Dans certains domaines du quotidien, ce rôle du mensonge, quoique considérable, reste clandestin en ce qu’il s’approprie nos qualités et valeurs, masque partiellement la vérité, afin de pouvoir obtenir le but recherché : c’est, par exemple, l’essence même du message publicitaire sur lequel fonctionne notre économie dite de marché, probablement pour faire marcher le chaland...

. En revanche, la justification politique du mensonge ne peut raisonnablement franchir les parvis de toute analyse morale : la relation entre gouvernants et gouvernés n'étant pas symétrique, l'exigence morale doit s’imposer ! Et si parfois on peut être tenté de mentir, il apparaît néanmoins aussitôt que, comme l'a montré Kant, en aucune manière on ne peut admettre une loi universelle qui commanderait de mentir !

Rappelons que, selon Alain Etchegoyen, dans son ouvrage "La démocratie malade du mensonge", notre démocratie est elle-même basée sur un mensonge puisqu'elle affirme donner le pouvoir au peuple alors qu’elle le confie à une poignée d'élus !

. Et les procédés mis en œuvre dans le domaine du mensonge sont extrêmement variés. On peut mentir par exemple : par simple silence ou omission, dans ses écrits, dans son comportement, ses mimiques, ses attitudes. Les mobiles le sont également : l'intérêt, la cupidité, la haine, la vengeance, la passion, la défense, le sacrifice, le besoin de se valoriser…

. Dans la typologie des mensonges, outre les mensonges par silence, par omission, qui consistent à ne délivrer qu’une partie de vérité, il existe aussi ces mensonges faits, non par amour de soi-même, mais par amour d’autrui : c'est le « mensonge pieux », qui, souvent, sous cette belle apparence, cache la mesquine réalité du mensonge par amour de soi : je ne dis pas à autrui une vérité qui pourrait le blesser, mais c'est aussi pour ne pas avoir à subir sa tristesse ou sa colère, à porter le poids de son désespoir, à devoir le consoler.

Selon La Rochefoucauld : "La sincérité est une ouverture de cœur. On la trouve en fort peu de gens, et celle que l'on voit d'ordinaire n'est qu'une fine dissimulation, pour attirer la confiance des autres" ; mais également : "Nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés", ou encore : "Nous aurions souvent honte de nos bonnes actions, si le monde voyait tous les motifs qui les produisent".

III – EN CONCLUSION -

Une querelle sur le mensonge pieux opposa Kant au philosophe et écrivain français Benjamin Constant ; contrairement à ce dernier, Kant refusait toute possibilité d'un droit au mensonge, même dans l'intérêt d'autrui, car il estimait ne pouvoir faire le bien d'autrui en lui mentant, i. e. en le méprisant, en le considérant comme indigne de recevoir la vérité.

Le bon sens, qui fait passer l'humanisme avant le rationalisme, et pour lequel, non comme Kant, la morale ne se fonde pas sur la seule raison, retient qu’il existe, d'évidence, des cas où le mensonge est un droit, peut-être même un devoir, et des cas où l'exception est un droit, voire peut-être un devoir, la vérité dut-elle être blessée comme l’interlocuteur.

Ainsi, à la condamnation sans appel du mensonge pourrait s'opposer une éthique plus prudente ; qu'il y ait dans tout mensonge laideur et mesquine contradiction, probable, mais que tout mensonge soit immoral, peut-être pas. Si mentir à autrui, c’est souvent le mépriser, il existe aussi un droit moral de garder pour soi, de dissimuler, de résister à la délivrance sans réserve de vérité, d'aveu ou de transparence, quelque chose comme un droit intérieur au silence, au secret, et même à la fiction.

Existe-t-il un moyen qui fasse que le mensonge, i.e. l'exception, demeure exceptionnel ? En tout état de cause, mentir c’est quand même une technique fortement écologique qui consiste à éteindre la lumière pour obliger son interlocuteur à voir à la lueur d'une seule chandelle, celle du compteur (non électrique), pardon, du conteur !





19/01/2017

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