20 - Croyance & Ignorance
I – LE CONTEXTE -
Une croyance est la représentation imagée, en mémoire ou en conscience, de quelque chose considéré comme appartenant au monde réel ; on peut ainsi croire en quelque chose qu'on ne comprend pas dès lors que sa représentation appartient au réel. Croire, c’est aussi adhérer à une idée sans justification objective suffisante, sans démonstration, ni preuves, à supposer même ces dernières comme nécessaires et suffisantes…
L'ignorance est la non-prise de conscience ou la non-représentation en mémoire de quelque chose appartenant au monde réel ; on peut ainsi croire à l’inexistence de quelque chose de réel.
Si l’on étudie les liens logiques qui relient ces deux concepts, il convient de constater que l’Ignorance serait LA cause de la Croyance ; sur quel degré de pertinence repose ce lien logique qui, n’en doutons-pas, s’accompagne de nombreux sous-entendus : si l’ignorance est à la source de la croyance, alors la croyance est connotée négativement, i.e. comme un médiocre palliatif à l’absence de connaissance. Cette conception repose sur l’idée que la croyance serait une erreur intellectuelle en tant que l’homme se refuse tout usage de son propre entendement pour appréhender son environnement ; par voie de conséquence, la progression des connaissances rationnelles serait de nature à détruire progressivement ces croyances. C’est d’ailleurs sur cette conception optimiste du Savoir que s’est enracinée la confiance des Lumières dans la Raison : les progrès de la science et de la connaissance rationnelle devraient avoir eu raison de la croyance dans ses formes les plus exacerbées, comme la superstition… Qu’en est-il ?
II – LES LIMITES DE LA SCIENCE -
Elles ont été précédemment examinées (cf. 11 – Les Attributs de Dieu) sans pour autant en conclure que la Science pourrait justifier logiquement la croyance ; d’ailleurs, comme l’a démontré Kurt Gödel, la Science dans son approche s’appuie sur des hypothèses relevant elles-mêmes de la croyance.
Mais, avec le temps, le légitime optimisme d’alors des lumières doit être tempéré ; en effet, aucune thèse démontrant que la croyance résulte d’une simple erreur intellectuelle n’a été émise, même si certaines approches ont mis en lumière que certaines formes obscurantistes de la croyance doivent être rejetées.
III – LE RAPPORT IGNORANCE - CROYANCE -
30 - Une première approche de ces concepts révèle un paradoxe permanent : certaines personnes très savantes n’en sont pas moins victimes de croyances ; s’agit-il d’une simple ignorance ?
La croyance la plus excusable et, probablement la plus courante, résulte tout simplement d’une ignorance de la complexité de la réalité. Les causes en sont multiples :
- simple une ignorance manifeste de la réalité, qui peut être combattue par l’éducation et l’acquisition de savoirs,
- analyse limitée de la perception du réel par les sens : la connaissance sensible qui fait, selon Platon, de nous, des victimes des apparences, ou, plus objectivement nous réduit à une connaissance partielle et superficielle du réel ;
- la paresse, la force de l’Habitude, le conformisme, l’adhésion sans critique à la pensée dominante, qui nous permettent l’économie du regard critique de la perception du Réel !
- le conditionnement et la manipulation idéologique lesquels, tout en nous laissant la sensation de se croire libres, aliènent notre conscience.
31 - La croyance peut trouver sa source dans l’incapacité à accepter la réalité telle qu’elle est : vivre dans l’illusion, c’est créer un monde conforme à ses désirs ; en ce sens, la croyance peut se définir comme une illusion imposée par certains facteurs inhérents à la personne : condition sociale, matérielle, religieuse, raciale, psychologique… ; cette croyance conduit à une déformation de la réalité qui donne naissance à une vision complètement biaisée du monde et pourtant logique dans l’esprit de celui qui la vit : on parle de délire cohérent. Cette croyance peut être interprétée comme une faiblesse de l’approche psychologique de la réalité.
32 - Il convient ici d’opérer une distinction entre Savoir et Croyance pour constater, dans la première acception, que le progrès des connaissances scientifiques, en ce qu’il construit des Vérités scientifiques, n’a pas permis d’éradiquer les croyances qu’elles ont démontré comme étant illusoires.
Dans la seconde acception, dès lors que la croyance trouve son origine dans la faiblesse du raisonnement de l’individu, le critère de différence entre Savoir et Croyance n’étant plus pertinent puisqu’il est admis qu’il y ait, eu égard au niveau de chacun, de bonnes et de mauvaises croyances, les premières résultant d’une analyse lucide de la réalité, les secondes du déni inconscient de cette réalité !
33 – En matière de croyance et d’ignorance il ne faut pas omettre la notion de superstition, en tant que déviation impie du sentiment religieux, telle que la définit Baruch Spinoza {24-11-1632 - 21-02-1677, philosophe hollandais} dans la préface de son "Traité théologico-politique" ; Spinoza reconnait un lien entre l’illusion, qui peut être une erreur, dont les causes principales seraient l’ignorance du réel et la volonté de s’accorder avec lui, ainsi que le désir comme moteur des craintes et espoirs de l’Homme s’aventurant au-delà du connu.
34 - Enfin, comme cela a déjà été évoqué, la croyance n’a pas qu’un aspect négatif ; Descartes, dans 'Le discours de la méthode", utilise l’approche de croyance rationnelle, lorsqu’il part à la recherche de la vraie Morale ; c’est le mode de raisonnement adopté par tout chercheur dès lors qu’il manipule des hypothèses, qu’il considère comme justes jusqu’à ce qu’il en ait démontré l’absence ou non de pertinence.
IV – EN CONCLUSION -
De ces quelques réflexions il résulte que l’Ignorance n’est pas la seule origine de la Croyance. Si, face aux considérables progrès de la connaissance, la croyance demeure dans l’homme éclaire, il en résulte que ces progrès ont permis l’effacement des croyances qui pouvaient être combattues par la connaissance rationnelle ; il en demeure encore une partie, qui résiste aux attaques de la raison, car, l’irrationnel et la raison n’occupent pas le même terrain, voire, occupent une place différente et complémentaire.
N'est-il pas patent que l’irrationnel est le rationnel de demain ? Alors, un peu de patience, et de travail pour nos héritiers … spirituels …