23 - Le Doute -
I – LE CONTEXTE -
Dans la recherche d’une définition du concept de Dieu, nous avons abordé les questions relatives à la croyance et à l’ignorance, aux bienfaits et méfaits de la croyance ; abordons maintenant la notion de doute, l’un des constituant de ce moteur de recherche de la connaissance, démarche inhérente à l’homme comme le précisait Aristote dans "La Métaphysique".
Selon la capacité de chacun, cette démarche s’orientera, où vers la considération naïve du monde qui nous entoure, ou vers la véritable volonté de connaître.
Attachons nous à ce second axe de la démarche, car le doute, en tant qu’il résulte d’une intelligence qui questionne, est une œuvre de la pensée.
II – LE DOUTE CHEZ LES PHILOSOPHES -
Selon Platon, le doute ne constitue que "une étape qui creuse un manque et oriente vers une enquête".
Pour Socrate, douter de tout, ne rien prendre comme allant de soi, pour acquis, est un devoir pour l'homme puisqu’il déclarait : « Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien ». Pour Socrate, le doute est le lieu d’exercice privilégié de notre faculté de critique et de remise en cause de ce qui se présente comme un savoir définitif ; en ce sens, c’est le doute qui permet le progrès de l'humanité.
Et Descartes, à la recherche de la vérité et des méthodes pour y parvenir, reprit ce concept de scepticisme notamment dans l’un de ses ouvrages, "Le Discours de la Méthode" ; avec sa célèbre phrase "Cogito ergo sum" (Je pense, donc je suis), a été introduit, comme outil de réflexion philosophique, le concept de "Cogito" qui peut se définir comme un mouvement réflexif, dans lequel le sujet se reconnaît comme sujet conscient, ce qui lui permet de se construire une appréciation intellectuelle du monde qui l’environne et dans lequel il évolue.
III – LES LIMITES DU DOUTE -
Douter, c’est intellectuellement admettre que la connaissance est si incertaine que l’approche sceptique des faits et événements est la démarche de recherche de la connaissance la plus appropriée ; en effet, rien n’est sûr en ce domaine, nous pouvons et sommes sans cesse victimes d’illusions, de manipulations, dépositaire d’informations partielles ou tronquées… même en matière scientifique, la science s’étant aussi construite en partie sur une série d’erreurs dépassées, parfois par accident !
En ce sens, le doute est une démarche positive, en tant qu’il est le fondement de l’esprit critique.
Mais, douter de tout, s’est s’ouvrir à l’incertitude permanente, ne rien tenir pour vrai ou établi, remettre en question l'ensemble de nos certitudes, personnelles, sociales, morales, politiques, économiques… A l’excès, porter le doute comme un idéal de pensée, revient à renoncer implicitement à la vérité, à se refuser à affirmer.
Aussi, convient-il de distinguer le doute méthodique, destiné à la recherche d’une certitude, du doute sceptique, qui est l’expression d’une défiance pathologique à l’égard de la capacité humaine à apprécier une réalité ; en d’autres termes, distinguer la crédulité, qui rend tout savoir objectif impossible, du jugement permettant d’apprécier si une connaissance est fondée et certaine.
Cette approche duale n’est cependant pas totalement pertinente, car le doute c’est aussi un élément du moteur de la connaissance en tant qu’il permet de s’interroger pour remettre régulièrement en cause nos certitudes afin de ne pas les contraindre dans des opinions figées, des théories bornées, car eu égard à nos limites physiologiques et intellectuelles d’appréciation du monde qui nous entoure, de l’évolution de ce dernier, ce qui est affirmé aujourd’hui peut se révéler faux demain. L’éternité n’est pas la maison d’accueil du Savoir.
Comme l’énonce David Hume (1711-1776), philosophe, économiste et historien britannique, l'un des plus importants penseurs des Lumières écossaises, dans "Enquête sur l'entendement humain"», toute connaissance à caractère informatif, en tant qu’elle porte sur le monde, est révocable et incertaine.
Ainsi, affecter ses capacités de doute à des connaissances qui ne relèvent pas de données logiques, démontrables sur la base de lois universelles, n’est rien d’autre que faire preuve d’esprit critique. Tout dépend de la manière de les y affecter.
IV – EN CONCLUSION -
- ou "De la Pratique quotidienne du Doute" -
Descartes, conscient des limites de l’outil qu’il vient de décrire, déconseille la pratique permanente du doute tout au long de la vie d’homme, l’action, en tant qu’elle est le résultat d’une réflexion, ne laisse plus de place au doute.
Le doute comporte également des limites sur le plan moral et politique ; doit-on douter sans cesse des valeurs traditionnelles de la société ? En d’autres termes, est-il sain de remettre en cause le bien-fondé des lois, des mœurs, ou des dogmes religieux, sans remettre en danger l'existence de cette société ? Pour Kant, toutes les libertés que les hommes ont à conquérir et que le gouvernement doit leur laisser prendre, la première est la liberté de l'usage public de sa raison ; aussi, dans la mesure où les valeurs précitées n’ont pour seul but que de maintenir la masse dans l’ignorance dans le seul but d’accaparation du pouvoir par une minorité qui se dit et croit "éclairée", l’esprit critique, outil de la Liberté d’Opinion, ne doit pas être contraint, même et surtout en ces domaines.
Enfin, si le doute est un des outils du savoir, il n’en est pas la finalité ; il doit se limiter à rester un moyen de nous libérer de nos préjugés, de prendre conscience de nos limites, de notre ignorance, de nous donner la force de les repousser.
C’est, selon Michel Foucault (1926-1984), philosophe français, ex-titulaire d’une chaire au Collège de France, qui s’est interrogé sur les rapports entre pouvoir et savoir : "Entreprendre de savoir comment et jusqu’où il serait possible de savoir autrement".