~ Cercle Philosophique ~

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51 - Oublier c'est Vivre -

I – LA MÉMOIRE -

Dans la question "oublier c'est vivre", le terme "Oublier", associé à celui de "Vivre", renvoie implicitement mais nécessairement à une fonction qui est celle de la "Mémoire", qui prend toute sa dimension dans le concept du "Temps".

A titre liminaire, si chacun sait, par expérience à quoi correspond le mot "Temps", aucune définition de la notion correspondante n'a reçu jusqu'ici, chez les savants comme chez les philosophes, une approbation unanime. Sensible à cette difficulté qu'il jugeait caractéristique de toutes les notions premières, Pascal estimait que le temps est de ces choses qu'il est impossible et même inutile de définir, s'accommodant d'ailleurs assez bien des désaccords existant à ce sujet. Comme il n'est pas question ici de débattre plus longuement sur ce concept, il convient, à l'appui des notions qui vont être développées infra - et après avoir écarté cette équivoque particulière de la langue française qu'est sa signification météorologique qui en est un sens dérivé aisément explicable, la température et le climat d'un lieu variant en effet en fonction du temps, cette fois entendu au sens propre - de considérer que la notion de "Temps" englobe les trois concepts de simultanéité, de succession et de durée, qui renvoient à ceux de présent, de passé et d'avenir, plus propres à l'étude du cas d'espèce.

Du latin "memoria = souvenir" {dans la mythologie grecque, d'après Hésiode, poète du VII° siècle avant J.C., Mnémosyne est la déesse de la mémoire}, la "Mémoire" c'est :

- au sens commun, la faculté d'un être vivant, ou d'un mécanisme, à la fois de conserver l'empreinte ou la trace d'événements passés, mais aussi de s'y référer ;

- au sens biologique, une fonction générale du système nerveux permettant également de conserver des traces du passé, mais aussi de modifier son comportement eu égard à l'expérience éventuellement ainsi acquise (principe de rétroaction systémique) ;

- en psychologie, l'ensemble des fonctions par lesquelles l'homme conserve et organise ses souvenirs, les identifie et les situe dans le passé ;

- en philosophie, selon Henri Bergson (1859-1941), à la fois une référence à la mémoire-habitude, ensemble de mécanismes moteurs permettant la répétition d'actions à partir de situations connues, mais aussi de la "mémoire-souvenir", qui retient le passé et permet de le restituer,

- en sociologie, à la fois un concept individuel et collectif, ce qui, pour cette dernière, au sens métaphorique en tant qu'il attribue à un groupe une faculté psychologique et physiologique individuelle, i.e. la mémoire, renvoie aux souvenirs partagés, comme aux représentations psychologiques du passé, au sein d'une collectivité.

Enfin, à ce niveau introductif, il ne saurait raisonnablement pas possible de s'affranchir de l'évocation du fondement même de la capacité de mémorisation, ou "le phénomène de cognition", processus par lequel des systèmes vivants ou artificiels acquièrent et stockent des informations tirées de ce qui les entoure, au moyen, et donc dans la limite, de la capacité de leurs outils de perception ou de captation, en construisent des représentations, les transforment en connaissances par des opérations spécifiques, puis les mettent en œuvre dans leurs comportements, activités et fonctionnement.

II – MÉMOIRE & VIE -

La "Durée", 3° concept analytique du "Temps", (cf. supra) est d'essence psychique, en ce qu'elle suppose la conservation et la continuation du passé dans le présent ; c'est ainsi la forme sous laquelle l'intuition perçoit la vie intérieure : "l'esprit est durée et même n'est que durée" car, pour Bergson, ce qui caractérise d'abord l'intuition, ce n'est pas son pouvoir de connaître ou de sentir, ce n'est pas sa capacité de promouvoir des valeurs, mais la mobilité de son esprit, son aptitude à tirer continuellement de lui-même plus qu'il ne contient !

Bergson estime que la conscience de la vie signifie d'abord mémoire car, sans conscience, pas de mémoire, mais réciproquement, sans mémoire, pas de conscience. De la même manière l'Homme se différencie des autres formes de vie par l'emploi qu'il a de sa conscience qui lui permet de dépasser les automatismes physiologiques, parfois au-delà de la nécessité...

Chacun peut vérifier cette loi sur lui-même : quand une action cesse d'être spontanée pour devenir automatique, la conscience s'en retire ; en revanche, elle s'intensifie dans les moments de crise intérieure, lors de conflits de choix, qui vont conduire à une création, une modification de conduite ; en ce sens, la vie, c'est la création qui consiste à faire plus que ce qui est, mais à partir de ce qui est ; c'est pourquoi le passé est indispensable pour créer afin de produire le devenir.

C'est aussi grâce à la conscience que la liberté trouve son plein sens, en se détachant de la notion de déterminisme.

III – MÉMOIRE & OUBLI -

L'oubli est un défaut de mémoire, en ce sens, une marque de faiblesse, dans une approche très négative.

Contre la tradition philosophique, dans ses "Considérations inactuelles", Friedrich Nietzsche (1844-1900) estime que l'oubli est porteur de positivité, qu'il est même une condition sine qua non du bonheur ; tout acte exige l'oubli. Il est ainsi possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l'animal (à le supposer établi...), et qu'il est impossible de vivre sans oubli.

Selon Saint-Augustin (354-430), "le Temps pour l'Homme est une distorsion de l'âme" : si la vie se forge selon une double tension - mémoire du passé vs attente de l'avenir, en tant que promesse issue d'une construction de la conscience - il n'existe fondamentalement qu'un seul temps, le Présent, le Futur ou le Passé n'étant que des constructions de la conscience !

IV – OUBLIER C'EST VIVRE -

Rappelons qu'en psychologie, le souvenir, en tant qu'élément inscrit en mémoire, est une liaison entre un fait sensoriel et une émotion.

Rayer certains de ses souvenirs de sa mémoire pour mieux avancer, c'est peut-être utopique ou naïf, mais l'oubli a de multiples vertus ; si nous ne mémorisons pas que des éléments négatifs, le passé est cependant plus ou moins lourd et, si la société valorise la mémoire, un pan de la psychologie réhabilite l'oubli. Car, sans cette faculté, nous ne serions que des ordinateurs, encombrés de nos nombreux souvenirs, absorbés à ne reproduire que des actes pré-enregistrés, donc du passé ; ce serait la fin de la vie psychique, de la créativité, de l'innovation, la mort de l'individu.

Et même malgré la présence de problèmes pathologiques, notamment ceux liés à l'usure de notre corps (est-il le (seul) siège de la mémoire, d'ailleurs ?), le problème est que nous ne sommes pas dotés d'une capacité sélective de l'oubli, notre subtile mécanique psychologique ne le permettant pas ! Et le refoulement n'est pas une façon d'oublier mais une déviance psychologique, un faux-oubli !

D'une manière générale, l'oubli est inconscient et involontaire : on ne peut pas se forcer à oublier ; et s'alléger d'un drame demande du temps, beaucoup de temps, quand cela est possible, car un drame - et c'est ce qui illustre l'étendue de la notion de mémorisation - n'est pas qu'un événement, susceptible d'être l'objet d'un oubli, c'est aussi une transformation, parfois profonde, de l'Être.

Alors, si oublier c'est vivre, les générations plus avancées en âge vous diront que c'est aussi aller tranquillement vers la mort, à supposer d'ailleurs que celle-ci soit "l'Oubli" !



19/01/2017

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