10 - Dieu peut-il mourir ?
I – LE CONTEXTE -
La notion de mort de Dieu ressort de l’œuvre de Nietzsche, notamment de son ouvrage "Le Gai Savoir", paru en 1882, dans lequel il affirme péremptoirement "Dieu est mort !" ; dans cette approche, le philosophe ne développe pas un argument contre l'existence de Dieu mais il se place plutôt au service des intellectuels athées mettant en doute l'omnipotence et la puissance infinie de Dieu ; au surplus, le thème de la mort de Dieu se présente comme une étape de l'athéisme d'alors où, à l'idée d'Être Suprême, Nietzsche substitue la notion ambiguë de Vie, en tant qu'elle est la période d'évolution de la naissance à la mort, sans pour autant se prononcer sur ce qui, en conscience, existait avant et existera après.
II – DIEU & LA PHILOSOPHIE -
Il est intéressant de constater que, si l'athéisme tient peu de place dans l'histoire de la philosophie, en revanche, les croyances et les religions populaires dès l'Antiquité, sous la forme du polythéisme, étaient abordées en tant que divination des causes secondes de la Nature, renvoyant à la conception d'un Être, voire, d'une Cause Première.
De l'école ionienne, pourtant engagée dans la recherche du principe matériel de toutes choses, une sentence d'Anaxagore a fait dire à Aristote que, quand un humain proclame qu'il y a dans la Nature une Intelligence, principe fondateur de l'Ordre Universel, cet humain jouit de Raison, plaçant les réflexions de ses devanciers au rang de divagations.
Ce n’est qu’à partir de Socrate que dans la philosophie grecque se met en place un système de théodicée [du grec justice de Dieu, qui tente une explication de l’apparente contradiction entre l’existence du mal et les caractéristiques propres à Dieu, sa toute-puissance et sa bonté]. Ces idées sont reprises chez Leibniz (1646-1716) dans "Essais de théodicée", Kant 1704-1804 "Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique", de Hegel 1710-1831 "La Raison dans l’histoire", puis dans Rousseau et les Lumières ; cependant Voltaire 1694-1778, dans "Candide", a critiqué cette approche par la théodicée, pour construire une vision de Dieu, de l’Homme et du Monde, sans pour autant remettre en cause la bonté divine.
Suivant Aristote, Dieu est "l'objet suprême de l'intelligence (premier intelligible), en même temps la suprême intelligence"», la matière se trouvant minimisée au maximum.
Ainsi, la théodicée d'Aristote, malgré les critiques auxquelles elle a dû faire face, est en définitive la théorie déiste la plus conséquente transmise par l'Antiquité puisqu’elle a résisté à la fois aux doctrines presque complètement négatives des Épicuriens, qui concevaient les dieux comme Êtres de forme humaine, des Stoïciens, amalgamant naturalisme (Doctrine considérant la Nature comme la seule réalité existante, niant ainsi toute approche surnaturelle) et panthéisme (croyance métaphysique qui, selon Spinoza (1632-1677), identifie en Dieu tout ce qui existe), et des Alexandrins, considérant Dieu comme l’Être Absolu.
La philosophie chrétienne ne connaissant d'autre Dieu que celui de la Bible, a conduit la Philosophie, dès lors qu’une maturité suffisante lui en a conféré l’indépendance nécessaire, à se séparer de la Théologie ; toutefois, il lui appartient de fournir les "Preuves de l’existence de Dieu" afin d’asseoir la Foi sur des raisons philosophiques. A contrario, comme le retient Hegel dans son approche philosophie et religion, "la Raison, expression de la philosophie, comme condition d'une humanité totalement libre, peut-elle exister sans aucune référence à la Transcendance, i.e. la Religion" ? Toute conception de la divinité étant d’ordre humain, le problème se trouve, par là-même, entaché d'un vice d'origine ! Ainsi, la philosophie évoluant a-t-elle compté un certain nombre de déistes, d’athées, voire avec le système panthéiste peu populaire du spinozisme, de penseurs développant des opinions non définitives pour trancher la question de l’existence de Dieu, comme dans les approches de Montaigne, Descartes, Malebranche, Leibniz, Bossuet, Fénelon, Clarke… même, de Kant, qui ne se démarque pas nettement de ses prédécesseurs.
III – DE LA NÉCESSITÉ D’UN DIEU -
Il est également constant d’observer que le Monde matérialisé ne suffit pas à nourrir les aspirations profondes des Hommes, ce monde lui ayant d’abord inspiré une terreur, nourrie par les aléas de la vie, naissance et mort, santé et maladie, douleur et joie, bonheur et malheur, ce qui a conduit les philosophes à créer la notion de « croyance aux Dieux », qui a trouvé un terrain favorable dans leur aspiration innée de l’esprit au Divin.
Au cours de son évolution, l’Humanité, tout d’abord admirative du spectacle de l'Ordre Immuable de cette Nature, source d’étonnement et de sagesse selon Platon, à mesure qu’elle s’est familiarisée avec la régularité parfaite des choses, sa curiosité s’éveillant, a recherché les lois qui fondent cet ordre de l'univers. Et l'harmonie qu’elle a constaté entre sa pensée et les choses observées, l’a conduite à imaginer l’existence d’un auteur, créateur du monde, accessible à l'esprit humain, ses connaissances d’alors ne lui permettant pas de maîtriser, voire de dominer ce monde matériel qui l’entoure. Est ainsi né le concept d'un Être réunissant en lui toutes les perfections que notre raison peut concevoir, intelligence et cause de l'arrangement de l'ordre universel - qu'Anaxagore, semble avoir le premier dégagé – sagesse infinie et bonté souveraine, toute-puissance créatrice et béatitude parfaite.
Alors, à l'aspect de la Nature qu’il admire et sublime, l’Homme s’est découvert une Âme, principe spirituel, agent essentiel de la Vie, l’unissant à tout ce qui l’entoure et qu’il ne maîtrise pas autrement qu’en le confinant sous l’appellation de Dieu, Principe Créateur. Il en est résulté une profonde osmose entre l'Art et le Culte, l’émotion religieuse renvoyant à l’émotion esthétique, tout comme à l’inverse : la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique en témoignent abondamment.
IV – DIEU PEUT-IL MOURIR -
Si les philosophes du XVII° siècle, songeaient avant tout à l'humain intérieur et à son perfectionnement moral, ceux du XVIII° s’orientèrent vers la science de la nature et le gouvernement des sociétés, leurs limites d’analyse et leurs rêves déchus les portant à définir la théorie du progrès indéfini de l'humanité. Le XIX°, tout en doutant de cette formule, n’y renoncera pas et les découvertes et progrès scientifiques et techniques des XIX° & XX° siècles ont conduit la plupart des hommes à s’éloigner de Dieu, probablement par désenchantement ou désillusion, l'esprit humain faisant plus de difficulté à en appeler d’abord à Dieu, ne se décidant à l'invoquer enfin qu'après avoir usé de toutes les autres voies que lui offrent les Sciences.
Selon celles-ci, les maux dont se plaignent les humains trouvent en partie leur cause en eux-mêmes, dans leur comportement individuel et social, la Société, au sens le plus étendu, œuvrant pour son bien-être. Cependant, une simple observation objective permet de constater que chacun n’en profite pas, y compris selon ses mérites ; le partage inégal des richesses, l’exploitation de plus en plus visible du grand nombre au profit de quelques uns, difficilement identifiables, à raison de la complexité qu’ils ont construite et derrière laquelle ils s’abritent, ne permet plus de se contenter de ces explications qui ne nourrissent pas davantage les besoins spirituels plus ou moins exacerbés de chacun, nés de notre quête permanente de l’Absolu. Ces iniquités renvoient à la notion de Justice, non plus humaine, mais divine, d’idéal de Vie et d’Amour, personnifié dans l’Être Suprême, agissant au fond de l’âme humaine. Et, après avoir été longtemps sous l’emprise des idées des Lumières, l’individu, gagné à nouveau par le scepticisme, se tourne à la recherche d’une réalité supérieure, que ne contredit plus la Science dans ses développements, issus des théories relativistes du début du XX° siècle, dont les applications pratiques ont envahi son quotidien.
Ainsi, la notion d'Idéal religieux ou spirituel, pour autant qu’elle l’ait quittée, a repris sa place dans l'âme humaine, dès lors que, pour certains sceptiques, l’existence de Dieu, comme Descartes en avait la certitude, peut trouver une explication rationnelle qui est en cohérence avec leurs aspirations profondes.
Ainsi, s’il a été possible de croire que Dieu avait pu mourir, tout au plus, prend-on conscience qu’il ne s’était qu’absenté ; le croyant ou le spiritualiste ne pourront qu’espérer que son retour est dû à nos mérites et non à des éléments extérieurs à notre compréhension.
V – EN CONCLUSION -
50 - Quelques maximes sur Dieu et la spiritualité -
La Foi c'est l'Assurance des choses qu'on espère, l'Évidence des choses qu'on ne voit pas (de la Bible).
Peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science en rapproche (Blaise Pascal).
Le hasard est le chemin que Dieu emprunte pour voyager incognito (Albert Einstein).
Pour ceux qui croient, aucune explication n'est nécessaire, pour ceux qui ne croient pas, aucune explication n''est possible (Jeanine Fontaine),
Si on n'espère pas, on ne trouvera jamais l'inespéré qui est impénétrable et inaccessible,
Plus une inspiration est profonde, plus on sent que l'on en est pas le principe ni la source, mais l'organe,
Ce à quoi croit réellement un homme peut être établi non pas à partir de la croyance qu'il affiche mais des règles qu'il applique habituellement dans ses actions (G.B. Shaw 1856-1950). Dans le même esprit : La Sainteté ne réside pas dans ce que l'on croit mais dans uniquement dans ce que l'on fait,
Il est fâcheux que les mortels s’en prennent aux immortels lorsque l’infortune qui les frappe n’incombe en rien au Destin mais à leur unique inconséquence (Propos de Zeus dans "l’Odyssée" d’Homère).
51 - Dans le même ordre d’idées -
Ce Dieu en qui les belles âmes se refusent à croire parce qu'elles ne veulent pas examiner leur propre conscience.
Le malheur c'est le baromètre des crimes commis par ignorance de l'ordre de l'Univers (Oshawa).
52 - Et pour terminer sur une note d’humour athée -
L’Homme n’est que poussière... c’est dire l’importance du plumeau (Alexandre Vialatte 1901-1971).