60 - Notions de Transhumanisme -
I – NAISSANCE DE LA NOTION -
Pour le philosophe, le transhumanisme s'inscrit dans un courant de pensée qui remonte à l'Antiquité dont la quête d'immoralité de l'Épopée de Gilgamesh, la fontaine de jouvence, l'élixir de longue vie, tout comme l'ensemble des efforts visant à faire obstacle au vieillissement et à la mort, en sont l'expression. Cette recherche s'est perpétuée tout au long des siècles, tant à la Renaissance que dans la philosophie des Lumières ; on peut même avancer qu'elle est l'un des moteurs de l'essor de la médecine.
Au XIX° siècle, le philosophe russe Nikolai Fyodorov (1829-1903) revendique un usage de la science comme moyen d'extension radicale de la durée de vie, d'immortalité ou de résurrection des morts ; au XX° siècle, le généticien britannique John Burdon Sanderson Haldane (1892-1964), pionnier influent de la pensée transhumaniste moderne, prévoit que les considérables apports et avancées de la science, notamment de la génétique, feront évoluer la biologie humaine ; le physicien britannique John Desmond Bernal, estime que la colonisation de l'espace, comme les implants bioniques et les améliorations cognitives, sont au nombre des thèmes transhumanistes classiques.
Il est imputé au biologiste Julian Hyxley, frère d'Aldous Huxley, le fait d'être l'un des premiers à avoir utilisé en 1957 le mot "transhumanisme", concept selon lequel le "transhumain" est "un homme qui reste un homme, mais se transcende lui-même en déployant de nouveaux possibles de et pour sa nature humaine".
Ce concept évolue dès le début des années 1960, avec l'informaticien américain Marvin Minsky (1927-2016) qui pose la question des relations entre les intelligences humaine et artificielle, ce qui devien l'une des thématiques centrales du transhumanisme.
Enfin, l'émergence d'un mouvement transhumaniste clairement identifiable se fait jour dans la seconde partie du XX° siècle, à la New School de New-York, sous l'impulsion notamment de l'auteur, professeur, philosophe transhumaniste, futuriste et consultant belge d'origine persane, Fereidoun M. Estandiary (1930-2000), qui changea son nom en FM-2030, école au sein de laquelle sont qualifiés de "tanshumains" {ou humain transitoire...} les individus qui adoptent des techniques, des styles de vie et des conceptions du monde signalant une transition vers la post-humanité.
Considérant ainsi que certains aspects de la condition humaine tels que le handicap, la souffrance, la maladie, le vieillissement ou la mort subie, sont inutiles et indésirables, la notion de transhumanisme repose désormais sur la conviction, propagée par un nombre croissant de scientifiques et de futurologues, qu’une évolution voulue, orientée, choisie de l’espèce humaine est désormais possible, en s’appuyant sur des techniques nouvelles qui permettent d’intervenir non seulement sur l’individu mais aussi, à travers lui, sur l’espèce. Il s’agit de remplacer une évolution biologique commandée par "l’horloger aveugle", selon l'expression du biologiste et éthologiste britannique, vulgarisateur et théoricien de l'évolution, Richard Dawkins (1941-), par une évolution programmée de l’humanité grâce aux sciences et aux techniques. Cette évolution doit nécessairement conduire à la production d’une humanité "augmentée", donc plus heureuse. C'est, d’une certaine façon, renouer avec l’idée, héritée des Lumières, d’un progrès continu de l’humanité par la science et les techniques, une idée enfin devenue programmatique...
Un des logotype du transhumanisme
II – ESSAI DE CARACTÉRISATION DE LA NOTION -
20 – Les outils & techniques -
Les techniques invoquées par les courants transhumanistes pour fonder leurs espérances se trouvent à la convergence des technologies du numérique et des nano-mondes, champ interdisciplinaire où collaborent les technologies NBIC {pour Nanotechnologies (N), Biotechnologies (B), Informatique (I) et Sciences Cognitives (C)}.
N = Les nanotechnologies sont les technologies qui nous permettent de manipuler la matière à l’échelle du milliardième de mètre (1x10-9), voire de l’atome ; pour donner une idée de ce que représente un nanomètre, selon Luc Ferry "Il y a autant de différence entre un nanomètre & un mètre qu'entre une noisette & la terre".
B = Les biotechnologies regroupent un grand nombre de techniques englobant, entre autres, la génétique et la biologie cellulaire régénérative ; pour se représenter l'évolution de ces techniques, il faut savoir qu'actuellement le prix du séquençage d'un génome humain a été divisé par 3 millions depuis la mise en œuvre des premières techniques en 2003, 3 milliards de $ alors, pour un millier d'euros actuellement.
I = Il est difficile de ne pas remarquer que l’informatique a connu un véritable boom ces dernières décennies ; en 2030 pourrait émerger une intelligence artificielle aussi évoluée que celle de l'homme.
C = Les sciences cognitives regroupent les études sur le cerveau, les neurosciences, les implants neuronaux, la psychologie ; ainsi p.ex. mettant en œuvre l’avancée concomitante des recherches sur le cerveau et les techniques informatiques, le projet européen "Human brain project", financé à hauteur d’un milliard d’euros, vise à simuler l’intégralité d’un cerveau de souris puis d’humain sur ordinateur dans le but de mettre au point un cerveau artificiel avec l’émergence d’une conscience et le téléchargement d’un individu au sein de ce dernier...
La convergence actuelle de toutes ces technologies NBIC permet déjà l’interfaçage de l’homme avec le non-biologique et la machine ; c'est le cas des prothèses "intelligentes", des implants rétiniens ou cochléaires (ouïe), des cœurs artificiels... Cette fusion homme-machine, actuellement réparatrice, évoluera immanquablement vers des outils permettant à des organes de substitution de fonctionner plus efficacement que les organes biologiques, voire de vivre plus longtemps avec des organes plus robustes et pérennes. Ainsi, avec la robotique et l’idée du "cyborg" (organisme cybernétique), il s’agit de faire apparaître des êtres hybrides entre l’organique et l’électromécanique, permettant le passage "de l'entropie à l'extropie"...
21 – L'évolution -
On pourrait dégager 5 grands axes selon lesquels se déploient les espérances transhumanistes, chacun correspondant à une vision pour le moins extensive de l’état actuel des techniques :
- l'amélioration générale et continue de l’état de santé et de bien-être des individus,
- l'élimination des effets du vieillissement et, à terme, de la mort,
- l'implantation humaine massive hors de la Terre, à raison d'une surpopulation résultant de la réussite de l'axe précédemment énoncé,
- l'accroissement indéfini de nos capacités intellectuelles, physiques, psychologiques,
- enfin, pour ceux qui doutent de la véritable éternité des corps, celle de l’esprit pourrait être réalisée par le biais d’une copie de celui-ci sur un autre support que notre cerveau, voué au dépérissement ; pour les promoteurs du transfert de l’esprit dans une machine (uploading), c’est le développement extraordinaire des machines électroniques et de leur capacité exponentielle de stockage qui en laisse entrevoir la possibilité...
22 – Les limites du projet -
La plupart des idées transhumanistes fondent leur crédibilité sur l’usage assez systématique de l’extrapolation des techniques actuelles et des acquis qu’elles peuvent fournir.
Si certaines de ces extrapolations sont effectivement envisageables, d’autres se heurtent à des impossibilités manifestes :
- il est vrai qu’il existe aujourd’hui des prothèses extrêmement intégrées à l’organisme qui pourraient servir à la mise en place d’un homme "augmenté" pouvant courir à plus grande vitesse, soulever des charges bien plus lourdes que la normale, enfin apprendre plus vite et effectivement disposer d’une puissance cognitive accrue ; que les nanotechnologies ouvrent également la possibilité d’aller réparer les moindres défaillances au plus intime de notre corps ;
- en revanche, comment pourrait-on, dans l’état actuel des techniques informatiques, même considérablement accrues par la mise au point de l’ordinateur quantique, transférer l’information correspondant aux quelques 1010 neurones & 1014 synapses d’un cerveau humain, soit une quantité de données gigantesque. Ajoutons que l’esprit n’est pas simplement une masse considérable d’informations statiquement enregistrées dans la structure cérébrale mais une configuration réticulaire, un réseau très complexe en perpétuelle restructuration...
III – EN CONCLUSION -
À l'examen des éléments fournis supra, il résulte clairement que dans le transhumanisme actuel se côtoient à la fois des extrapolations parfaitement envisageables et des utopies qui tiennent peut-être du désir d’éternité, du scientisme le plus débridé, mais sont étrangères à toute approche réaliste voire prudemment optimiste quant à l’avenir de l’humanité.
Formulées du point de vue de la morale et de la bioéthique, les critiques et réticences à l’égard de ce mouvement soulignent notamment les problèmes d’identité posés par l’individu augmenté dont la personnalité pourrait être profondément altérée (discriminations et rivalités potentielles entre humains et transhumains), le risque de perte des valeurs liées au mérite (déjà encouru par la pratique du dopage dans le sport), la marchandisation du vivant (qui pourrait "acheter" l’éternité ou la puissance), les menaces sur la liberté si l’homme augmenté est aussi un homme programmé…Celle-ci peut revêtir plusieurs formes : la transmission mémorielle, la transmission écrite, la transmission génétique, la transmission au moyen de médias divers, matérialisés ou non.